Personne ne sait qui elle est ni d’où elle vient. On l’a emmené un soir et elle s’est planté là sans ouvrir la bouche. Elle est là et c’est tout. J’ai supposé qu’elle dormait dehors depuis plusieurs semaines avant qu’on ne la trouve. Dans son état, on ne pouvait décemment pas la laisser dehors plus longtemps. Avec son ventre proéminent, les bras marqués de cicatrices et le visage fermé, nous ignorions tout d’elle. A part qu’elle était très jeune et enceinte. Je pensais qu’avec le temps, son visage finirait par se relâcher et sa volonté aussi. Physiquement, rien ne l’empêchait de parler a dit l’orthophoniste. J’ai essayé de la convaincre, il fallait qu’elle parle pour qu’on puisse l’aider. Mais l’enfant n’a pas de nom, voilà six jours qu’il est né mais sa mère refuse toujours d’ouvrir la bouche. Nous attendons encore quelques jours, mais il nous faudra la nommer si elle ne le fait pas. Cet enfant qu’elle a porté tout le long du chemin, il a déjà une histoire, il a vécu avant d’être en vie. Je vois, à la peur dans son regard qu’elle n’a pas eu le choix. Je vois à la corne sous ses pieds qu’elle a lutté pour arriver ici. Je vois à ses réflexes qu’on n’a pas souvent été doux avec elle. Comme ils ne savaient pas quoi en faire, ils l’ont déposé chez les mineurs. Son enfant a vu le jour dans notre pays, il porte la nationalité que j’ai choisi de servir. Mon devoir, c‘est de lui indiquer le chemin le plus simple. Le nouveau-né est dans ses bras toute la journée et une grande partie de la nuit. Elle s’accroche à l’enfant comme la seule chose qui lui ai jamais appartenu. C’est à regret qu’elle le lâche à peine quand viennent les infirmières ou pédiatres. Elle a peur qu’on la lui prenne. L’enfant est calme, elles sont toutes deux collées l’une à l’autre. Le poupon au sein, la bouche grande ouverte sur le mamelon, elle, le nez à la fenêtre, toute occuppée à regarder tomber la pluie.
Cas numéro : 55763L22
Pour recevoir des aides de notre entité, la mineure doit déposer une candidature grâce au formulaire ci-joint. Ignorant si la mineure est alphabétisée, nous faciliterons la présence de travailleurs sociaux si nécessaire. Face au refus d’énoncer son pays d’origine ou de décliner son identité, nous sommes enclins à l’ouverture d’une enquête. Soulignons ici l’absence de papiers d’identité officiels dans les affaires personnelles de la jeune femme. Le principal questionnement du dossier est de savoir si le sujet était mineur à son entrée dans le pays. Les instances sollicitent une enquête, un test ADN, qui semblerait la solution la plus appropriée. Mais nous risquons d’être rapidement confronté à un refus de la part de l’intéressée. Et nous ne pouvons opérer sans son consentement. Une enquête a été ouverte pour déterminer le pays d’origine de l’intéressée afin d’évaluer s’il serait possible de l’y renvoyer. D’autre part, la mineure a récemment accouché d’un enfant. Par droit du sol, il est titulaire de la nationalité de notre pays. Ce fait aggravant ne facilite pas l’orientation de la mineure au sein des différents services de notre institution. Nous en appelons la justice afin de permettre la preuve ADN en tant que dernier recours.
C’est bien ma chance, une colloc avec un mouflet. Et muette avec ça, pas le gosse, la colloc. J’entends ses pas au-dessus jour et nuit, la vaisselle s’accumule dans l’évier de la cuisine commune et puis pas moyen de la coincer entre quatre yeux. Ce n’est pas que je sois devenue maniaque, mais rien ne me fait plus chier que les gosses. Moi je n’en veux pas, je vois pas pourquoi je devrais me farcir ceux des autres. Je m’emmerde tellement dans ce cloaque, j’étais contente qu’il y ait une nouvelle. Peut-être qu’elle releverait le niveau. Non, on continue la routine: boulot-dodo-boulot-dodo. Voilà le résumé de mon existence ici. Et puis les règles bien sûr. Les putains de règles de l’institution, le respect aux éducateurs, les horaires. Ces connards de pions qui se relaient pour nous surveiller, avec leurs tirades longues comme l’éternité. Baisser les yeux et faire semblant d’écouter. Je suis là parce que je n’ai pas ailleurs où aller. Mais à la première occasion, je me casse.