Me faire ça
Je suis qui moi. Je suis qui pour que tu me fasses ça. Je suis qui pour vivre avec toi quarante trois ans et que tu me quittes comme ça. Je suis qui pour que tu me laisses seul. Tu sais bien que j’aime pas être seul. Comment tu peux décider pour deux de me laisser seul. Je fais quoi maintenant. Obligé tous les soirs de sortir boire des bières avec mes potes. Tu sais bien que j’aime pas ça. Boire des bières. Ce que j’aime moi c’est regarder tranquillement des trucs à la télé avec toi. C’est faire des balades du quartier le soir en te donnant la main. C’est aller au restaurant tu as toujours des bonnes idées de restaurant. Pas sortir avec les potes. Mais aussi. Comment tu peux débouler comme ça. Comme une furie devant moi. Parler parler parler. M’étouffer avec tes mots. Me flanquer à la tronche cette histoire à laquelle je comprends rien. Comme quoi tu veux poser ta question. Prendre l’avion pour aller poser ta question. Mais tu l’as ta réponse. Puisqu’on te l’a donnée. La question et la réponse dans le même paquet. Alors qu’est-ce que t’as besoin d’un vol aller-retour pour poser une question que t’as déjà la réponse. Et si je dis c’est pas une bonne idée. Tout de suite ça t’énerve. Et ça pour toi c’est une raison de me quitter. Moi ton chacha. Moi qui croyais être ton chacha. Si il y a quelqu’un juste une personne qui dirait que c’est une raison pour quitter un mari comme moi une bonne pâte une crème j’aimerais qu’elle vienne me voir. Qu’elle m’explique. Parce que là sorry je comprends pas. C’est vrai que tu dis je comprends rien. Que c’est si important pour toi comment je peux pas comprendre ça. Et puis soudain me demander mon avis. Tu sais bien que moi j’ai pas d’avis. Que souvent au moment même je sais pas ce que je pense. Et alors là. Une histoire pareille. Comment je pourrais avoir un avis. Peut-être j’ai pas bien écouté ton histoire. Peut-être j’ai répondu de travers. Je sais pas. Mais là tu dis tu me quittes. Et moi comme un con je trouve rien. Rien à répondre. Alors je m’énerve. C’est vrai que je devrais pas comme ça m’énerver. Mais moi j’ai pas les bons mots. Les mots comme ceux des films. Des mots qui font pleurer et se tomber dans les bras. Moi c’est mots-là je les ai pas dans mon vocabulaire. Toi t’es une femme bordel. C’est facile pour vous les femmes. Pleurer ça vous va bien. Tu me vois moi pleurnicher devant toi comme un gosse avec mes nonante-cinq kilos et mes bras aussi gros que tes cuisses. C’est pas parce que je peux pas les dire qu’au fond je les pense pas ces mots. T’as qu’à te les imaginer bordel. Tu me connais quand même. Tu le sais que je suis un bon gars. Et que t’as toujours été mon soleil. Tu le sais quand même comme j’aime ça te voir arriver toujours le soleil sur le visage. T’as du soleil dans le cœur toi. Et tu sais que ça m’a toujours réchauffé de partout. Même que je te vois boiter de la jambe et même ça ça me réchauffe le cœur. Tu le sais que je suis jamais à reluquer les fesses ou les seins des autres femmes. Je suis l’homme d’une seule femme moi. Pas un coureur. Pas un de ces gars qui trouve que l’herbe est plus verte ailleurs. Moi mon bonheur dans la vie c’est la tranquillité. Savoir toujours de quoi demain sera fait. Savoir où sont rangées les choses. Et que demain elles seront encore à la même place. Le mariage c’est aussi pour les vieux jours. Savoir qu’on aura quelqu’un sur qui compter. Quelqu’un qui prendra soin de vous. Comment je fais si j’ai personne pour prendre soin de moi. Tu me vois moi aller sur les sites de rencontre. Moi. Tu sais bien comme je suis timide c’est pas pour moi ça. Faire des ronds de jambes à des jeunettes. Un type comme moi. Qui sait même pas aligner deux mots comment tu veux que je fasse. Je saurai pas comment me tenir. Ce que je dois dire. Et je serai ridicule. Tu te souviens comment j’avais trébuché à notre premier rendez-vous j’étais tombé dans la piscine. J’étais tout dégoulinant après. Faut dire dégouliner quand on a vingt ans ça va. A vingt ans c’est mignon c’est sexy de dégouliner d’eau. Les baskets qui font splash splash quand on marche. Mais pas quand on en a soixante. Moi je sais rien faire tout seul. Tu sais bien que je sais rien faire. Même pas faire une valise. Et quand je vais repartir sur les chantiers. Pour un mois un mois et demi. Qui va faire ma valise. Repasser mes chemises et savoir exactement ce dont j’aurai besoin. Rien oublier. Etre ma tête à ma place. Bon sang ça va pas être une vie la vie sans toi. Faut me comprendre aussi. Toi tu décides de prendre l’argent sur le compte. Tout l’argent. De notre compte. Rien que pour ton voyage. Et ça m’énerve. Mais comment tu peux ça aussi. Sept ans. Sept ans d’économies et de rêves comme quoi on allait enfin se faire du bien. Se faire un voyage à deux. En mobile home. Un truc que pour nous deux. Maintenant qu’on est seuls. Et toi non. Tu préfères sacrifier sept ans d’économies. Et me quitter en plus. Comment t’as pu me faire ça.
Elle lui veut quoi
Elle lui veut quoi à ma sœur. On dérange pas les gens comme ça. On va pas comme ça, on débarque pas avec ses valises chez les gens juste pour poser une question. Ca va pas. Moi j’y vais chez ma sœur. Je prends l’avion et j’y reste un mois mais c’est ma sœur. Je suis née là-bas. J’y ai grandi dans cette ville. Alors y retourner c’est normal. Mais ma fille. Oui elle a vécu là-bas un an et alors. Mais puisqu’elle s’en souvient pas. Ca compte pas si on s’en souvient pas. C’est pas parce qu’elle a vécu bébé avec ma sœur que ma sœur c’est sa mère. C’est moi sa mère. C’est toujours moi sa mère. Mais depuis qu’elle a appris ça on dirait que ça change tout. Est-ce que pour moi elle ferait ça. Traverser la moitié de la planète. Déjà qu’elle vient jamais me voir. Pourquoi elle vient jamais. Est-ce qu’elle trouve que j’ai pas été une bonne mère. Toujours à me faire des reproches. Mais qu’est-ce qu’elle s’imagine. Que ma sœur c’est une sainte. Ma sœur elle a toujours été comme ça. A plaire à tout le monde. Tout le monde l’aimait. Tous les garçons l’aimaient. Pourtant elle a jamais été belle. Et même pas maligne avec ça. Alors que moi. C’est moi qui avais les bonnes notes à l’école. Moi qui étais toujours première de classe. Moi qui rangeais bien mes affaires. Qui cirais mes chaussures toute seule. Moi qui aurais pu, qui aurais dû faire des études. Aller à l’université. 11A. J’ai terminé mon lycée avec 11A. Mais non. L’université c’était un lieu de perdition pour les filles. Fallait travailler dans son salon de coiffure à ma mère. Moi. Une mémoire des chiffres phénoménale être masseuse du visage dans un salon de coiffure. Moi qui aurais dû briller à l’université. Pour ma sœur, pas si maligne que ça, qui a même eu du mal à finir ses primaires ça oui, pour elle ça allait d’y travailler au salon. Mais pour moi. Et comment ma fille voit pas ça. Que ma sœur elle, elle a tout eu. Et moi, rien. Et moi je me rebiffais. Je voulais que ma mère plie. Alors forcée de frotter les planchers au savon vert jusqu’à ce que je craque. Que je me soumette. Qu’est-ce qu’elle croyait ma mère. Elle pensait vraiment que j’allais me laisser faire. Oui je me suis enfuie avec le premier venu. Enfin m’enfuir on s’est mariés quand même. Mais j’avais cru décrocher le gros lot. Un anglais. Mettre la Manche entre elle et moi. Et puis tu parles. Alcoolique. A ramasser dans le caniveau des fois tellement il buvait. C’était pas une vie un gars pareil. Alors le quitter. Elever les enfants seule. A l’autre bout de la terre. Dans un pays dont je parlais même pas la langue. Comment elle le voit pas ma fille la vie dure que j’ai eue. Mais non. Toujours à me rappeler comment j’ai été froide avec elle. Comment j’avais jamais les mots qui fallait pour l’encourager. Comment j’ai jamais fait que critiquer. Jamais de tendresse. Mais est-ce que je l’ai eue moi la tendresse. Est-ce que je les ai eus moi les encouragements. Faut pas me demander de faire ce que je peux pas faire. De dire ce que je peux pas dire. Moi c’était à la baguette qu’on m’a élevée. Faut pas oublier.
Elle allait où elle
Qu’est-ce qu’elle faisait dans le bus cette femme. Elle avait pas l’air de connaître. Qu’est-ce qu’elle venait faire ici. On voit toutes sortes de gens dans cette ville. Mais c’est que des locaux. Des riches. Des pauvres. Ou alors des immigrés. Des immigrés ça pas à dire y en a. Mais les immigrés ils restent dans le bas de la ville. Ils montent pas jusqu’ici. Ou alors juste pour aller à l’hôpital. Mais elle elle allait pas à l’hopital. Elle allait où. Qu’est-ce qu’on peut bien vouloir faire dans cette ville. Y a rien à faire. Y a rien à voir ici. Deux cinémas. Un seul dancing. Un musée. Les églises sont toutes moches. Si c’est pour aller se promener vaut mieux aller direct sur les hauts plateaux. Là c’est joli. Et y a du vent. De l’air. Mais c’est pas le même bus. Y a quoi ici qui peut intéresser quelqu’un qui vient de loin. Ca pourrait être une avocate. Qui aurait un cas important à plaider. Mais elle avait pas l’air d’une avocate. Ou alors une inspectrice de police. Qui aurait une enquête qui aboutirait ici. Vu qu’elle se dirigeait vers le commissariat. Là haut y a une pharmacie aussi. La nouvelle pharmacienne. Elle m’a souri. C’est rare qu’on sourie aux chauffeurs de bus. Elle m’a regardé dans les yeux. C’est rare aussi ça. En général les gens ils passent vite. Ils donnent leur monnaie vite vite. Comme si nous les chauffeurs de bus on était des robots des machines. Mais je suis pas une machine j’ai une vie. Même si elle est pas toujours drôle mais j’ai une vie. Maintenant je suis de bonne humeur. Oui elle m’a mis de bonne humeur cette femme.
C’est un chevalier bleu
C’est un chevalier bleu. Il vit dans une rue. Mais toutes les maisons dorment. Il est seul. Est-ce que une grosse dame qui passe c’est un crapaud déguisé en vieille princesse. Lui il veut un ami. Un poisson par exemple. Enorme. Qui remonterait d’une rivière et l’emmènerait visiter les îles. Ou un loup déguisé en chien. Qui le prendrait sur son dos et filerait à toute allure à travers les bois sombres. Ou peut-être un oiseau. Il pourrait s’installer dans son nid. Le chevalier bleu dans un grand nid. Des fois il dirait bonjour d’en haut à la vieille princesse.
J’ai adoré ces trois monologues qui s’entrecroisent. Ils, elles ont chacune une voix si personnelle. Et surtout une « épaisseur », une richesse incroyable. J’aime beaucoup l’histoire qui est en train de se tisser dans tous les textes. Vivement la suite.