Je l’ai reconnu tout de suite, d’accord il a pris du bide, des rides, mais ce regard froid, toujours le même. On a été prévenu. De toute façon, jamais oublié. Même pas besoin des vieux magazines qui pourrissent entre l’humidité et les rats de la cave. Et puis, un qui débarque sans bagage, entre sans consommer rien qu’une bière de la soirée, à rien désirer d’autres, pas même un bout de nous. Pas même un sourire, un mot doux, une blague. Gueule de mouchard. Loin des marlous qu’on se coltine ici, sur le port. Et cette bosse dans la poche. Du louche. Est pas resté longtemps, comme si avait un rendez-vous. En a bien un, mais pas avec qui y pense. Te voilà, enfin, ne rien laisser paraître de l’attente, je mange froid depuis longtemps tu sais. Ne pas te regarder dans les yeux. Je vends des billets mais pas à toi. Tu vas monter à pied, tu vas te ramollir un peu. La vieillesse t’a voûté, moi c’est la douleur. Profite de la nuit douce, avant de profiter de ton œuvre. Nous à travers les persiennes on te voit bien monter, comme à fuir les ombres. On a fait signe au bateau, on a envoyé les messagers vers le haut, par le derrière de nos bicoques. T’as jamais visité ? Tu l’entends l’absence de bruit ? Tu te crois malin ? Tu t’es toujours cru malin, c’est ton problème, ton erreur. Tu vas passer à la caisse. La vigie m’a confirmé le signal lumineux. J’ai aussitôt demandé de faire vider sa cabine. Ses effets et sa valise de voyageur, mandaté pour une inspection de la succursale de la compagnie, brûlent dans les chaudières. Le télégraphiste est prêt à envoyer le message de sa disparition à l’heure de l’appareillage. Les poissons ont prévenu. Ton cœur je vais le bouffer, tes yeux les gober avant que les chiens jaunes t’arrachent la peau du ventre et que les mouettes te récurent la carcasse. S’en foutent les bestioles de ton sale dedans de toi.
Codicille : parti du prologue pour la #1, trois versions avant celle en ligne. Trop narrative je trouve. Donc écrit 6 autres tentatives pour « Quelqu’un.e arrive quelque part » et « Il/elle ne sait pas » mais comme rien de satisfaisant je poursuis à partir de la #1 initiale. Galère, entre autre, pour la ponctuation. Regret de pas trop le temps de vous lire, ni de participer à P.
Pas lu les chapitres précédents mais la narration donne envie. J’aime bien la montée en température du monologue intérieur.
Merci d’avoir pris un peu de temps. Va falloir maintenir la température …
J’aime l’atmosphère, et le « sans consommer rien qu’une bière de la soirée, à rien désirer d’autres, pas même un bout de nous » et « comme à fuir les ombres » ; C’est drôle j’ai lu en moi-même « les poissons sont prévenus » . Et puis merci pour le codicille ! (rien trouvé de louche à la ponctuation :))
Oui ! Les poissons aussi sont prévenus. Et merci pour la lecture et le retour 🙂
Il y a vraiment quelque chose dans ces différentes voix qui menacent le personnage, et qui dessinent parfois des voix singulières, parfois comme une masse grouillante et indissociable, à l’affut… je l’ai lu avant d’avoir lu les deux premiers textes, du coup j’ai l’impression que c’est encore plus fort d’atterrir dans ton texte par là. j’aime particulièrement : « ton sale dedans de toi »
Merci Line : cette expression du « dedans de soi », je l’ai lue/entendue chez François !