La vague a l’arrêt, laisse de la mer figée, là, à mes pieds, le temps n’est plus à l’œuvre et les galets ne chantent plus. Ma peau encore humide, encore salée. La mer s’est figée, mais les gouttes d’elle se parlent. Le sel demeure intact, mais des cristaux murmurent entre eux. La plage de galet ne chante plus au rythme des ressacs, mais les pierres ont la parole. Il y en a une même qui bouge, se déplace, lente, sous moi. Pas une pierre qui roule, un être vivant, un galet animal, sous mon pied, à l’instant. Il m’emporte et je suis immobile. Il m’entraîne et je ne suis plus nulle part. Il me découvre le monde et réveille mes sens. Il marche pour moi et je respire l’odeur des varechs, la senteur de pins immenses, les fragrances d’herbes fraîches. Il respire pour moi et je marche dans une île, chevauche les nuages, plonge ma tête dans la mer, ressent toutes les lumières du jour qui change, de la nuit qui m’enveloppe de sensuels plaisirs. Une tortue terrestre ? Sur une plage de galets. Des gens arrivent, en famille. Remettre son maillot. Me rhabiller. Emporter cette tortue égarée dans un lieu plus sécure. L’éloigner de la mer dont les vagues reprennent vie et rythment à nouveau la polyphonie des galets.
Comme les milliers d’autres échoués là, je suis une pierre par la mer polie, roulée, façonnée, arrondie. Un galet rêvant d’être pris dans le bec d’un manchot en amour. Un simple objet s’imaginant déposé aux pieds d’une bien aimée. Un signe de pierre se voulant geste d’amour. Éboulis de tendresses, ébloui de douceurs. L’eau, sans cesse, me vient pousser, sac et ressac
La femme immobile et nue. Quand parfois la mer suspend le temps, nous pouvons nous parler comme cela était avant, quand chaque élément du tout partageait le langage. Celles d’entre nous qui, à l’instant où le temps s’arrête, ont eu la chance de rester sur sa peau disent leurs désirs d’être à elle, leur soif de son corps, leur faim de chacun de ses longs membres s’offrant au soleil.
Moins qu’un grain de sel, un fin cristal, une parcelle infime, presque rien. Je viens de rendre jaloux mes frères de la mer. Sur son genoux, je suis. La femme se penche, pose sa bouche sur sa jambe repliée, là où je tremble sa langue m’enlève. Elle m’emporte en elle. Je ne suis plus qu’elle, une particule de cette femme qui redevient immobile, offerte au soleil.
Je ne suis pas un galet sous le pied d’une femme. Je suis une tortue qui supporte le monde que cette femme découvre et illumine.
Des pierres parlent. Les entendre, quelles unes d’entre elles ou d’entre eux, puisqu’il semble que ce se sont des galets, est une chance que vous nous offrez. Je ferai des lors plus attention en marchant sur les pierres