oui c’est désagréable tout de même comme elle s’obstine à dire je ne comprends pas oui ça me rend un peu folle elle ne fait même pas l’effort de faire semblant elle ne veut pas savoir elle se tient là sur le côté avec ses certitudes gonflées d’orgueil elle coupe court à toute tentative oui c’est blessant à la fin va t’elle finir par m’entendre écouter ce que j’ai à dire il faudrait qu’en plus je mette des sous-titres oui au fond ça n’a pas vraiment d’importance mais ça nous met à distance ça me rend un peu triste cet éloignement je devrais lui dire que oui finalement oui je veux bien jouer avec elle oui alors on pourrait chacune regarder la lune et se comprendre
voici qu’elle revient elle allume le grand incendie sur la mer — l’aurore — avec au-dessus les nuages en panache sombre, ça donne la réalité au feu… ils en parlaient l’autre jour, dôme de chaleur qu’ils disent, ça sonne plutôt bien dôme de chaleur, ça sonne comme une étreinte, comme une fête douce, pas comme une catastrophe annoncée… pourtant c’est là, ça va avec le reste, avec la tragédie des bancs de sable, avec le recul du trait de côte, avec les tempêtes furieuses et les galets disparus, et les effondrements, ça changera encore, et sous la roche c’est à l’œuvre… voici les misérables fissures qui déchirent le silence des murs… tiens ce bruit de sable c’était bien ça, le mur il pleurait à l’intérieur de lui-même, une pluie de sable… est ce que je serai là quand ça se produira ? quand ça s’affaissera pour de bon ? j’aimerais mieux pas… voici la lune pleine sur la mer, je voudrais toute ma vie me souvenir de ce lever de lune, de sa rougeur… peut être que la lune est timide quand elle sort de l’eau… oh comme le rouge trouble grassement la mer, on doit être bien dans cette onde rouge et tiède… voici la fin d’été voici la brume et l’oubli voici l’ombre qui s’étend voici le vertige voici un rêve obscur
des souvenirs, des traces, je voudrais rester ici des heures sans bouger, des jours, à scruter l’horizon, ses îles illusoires, la jetée minuscule au loin, le vide, le temps figé ou absent, à distance du monde, m’aveugler, rentrer dans cet espace, attendre la pluie, la nuit, des voix, une marche funèbre, une sonate en mode mineur, avant le silence, l’obscurité, il n’a pas dit son dernier mot, il reviendra, je le sais, il n’en a pas fini, en attendant je pourrais photographier la nuit, le reflet de la lune pleine sur la mer, un fragment de lumière, ça suffit une petite flaque de lumière sur la mer, je ne serais plus seule j’aurais pour amie la petite flaque, entre mes paumes non pas la lune, son reflet
je pourrais bien disparaître tout à fait dans la brume, ou dans la noirceur du soir, et ce ne serait pas tout à fait grave
Ton texte est d’une poésie folle ! Ce rapport aux éléments, vivant et physique… Bravo !
je me laisse traverser par ce lieu qui m’inspire, alors merci
Merci Caroline Diaz pour ces mots. Ils résonnent en moi comme une réplique à la Duras : « Tu n’as rien vu à Erbalunga ». Des jours, des nuits, des mois, des années que je reste ici à scruter l’horizon et n’avoir rien vu, rien écrit, rien dit, rien vécu ou si peu, si longtemps. Jusqu’à comprendre, enfin, tardivement, que « le reflet de la lune pleine sur la mer » n’a de sens que si « mes paumes » tiennent une main.
oh cher Ugo ça me touche beaucoup ces mots, il est toujours bon d’avoir une main entre ses paumes
oui Ysa_Lou… vous avez trouvé les mots
et oui dôme de chaleur ça sonne plutôt bien;…
mais pas autant que « on pourrait chacune regarder la lune et se comprendre » (ne sais pourquoi me réjouit)
Sororité !!!
Magnifique !
Cette dernière phrase…
merci, ce magnifique m’intimide un peu
Vie! Lumière les Mots de l’aube je les entends … et rester ici des heures sans bouger. C’est beau
cet endroit m’appelle, tellement, aucun paysage ne me touche plus
Pour ma part j’entends toutes ces voix comme une seule voix, même matière, même expression poétique
et je l’associe à ton visage
je l’ai lu comme un vaste poème
et quel beau finish…
tu as raison, les voix sont très proches (trop ?), j’ai bien envie d’aborder la gémellité, et je ne sais pas encore qui parle