#L3 | Alors elle a pensé que c’était oui

Papa dit que c’est une rose trémière, qu’elle se se ressème chaque année et qu’elle était plus foncée avant. Quand je serai grande, je mettrai des roses trémières partout, même dans des pots. Papa dit qu’elles ne vivront pas dans des pots, que c’est trop petit, qu’elles n’auront pas assez de place, qu’il leur faut de la pleine terre. Il dit ça : « il leur faut de la pleine terre pour qu’elles poussent, tu sais… » Mais mais moi ça m’est égal si elles sont petites dans les pots. Je suis sûre que même petites, elles seront grandes ! 

Je ne sais pas comment était le rose d’avant, le rose plus foncé. J’aime beaucoup le rose de maintenant. J’avais une robe de princesse du même rose, quand j’étais petite, je veux dire, quand j’étais plus petite que maintenant, avant la naissance de ma petite soeur, tout ça. C’était une très belle robe, Blandine aurait bien voulu avoir la même ! Une nuit, je m’étais relevée pour la mettre et dormir avec. Elle piquait un peu, mais elle était tellement belle avec ses brillants autour des manches et des cols ! Et un jour maman l’a donnée.

Les briques de soupe ! Je savais que j’avais oublié quelque chose ! En même temps, si je n’ai oublié que ça… De toutes façons, les filles n’aiment jamais la soupe… Je n’ai qu’à leur faire des pâtes… Pâtes et gruyère… La grande râlera, mais comme elle aurait râlé aussi fort si j’avais fait de la soupe…

Cette odeur ! La maison semble pleine d’eau quand on n’y vient pas pendant trois mois… Pas pourrie, non, pleine d’eau, une eau un peu croupie, un peu… Bon, aérer, ouvrir la fenêtre, voilà. Le bois pour le feu a l’air sec. Nous ferons une flambée ce soir, une flambée et des crêpes, cela devrait plaire à tout le monde, y compris à la grande. J’ai bien fait d’emporter des oeufs, contrairement à ce que disait…

Mais qu’est-ce qu’elle fabrique encore avec la rose trémière ? « Chaton ? Tu fais attention, mon coeur ? Il y a de la boue partout, ne va pas te… Tu ne veux pas nous aider à ranger, plutôt ?… » Non, bien sûr que non… Comment dit la mère de Blandine ? « Penser positif ! » Penser, je sais faire, « positif », avec quatre enfants à moins de trois mètres, ça risque d’être moins simple… 

J’aurais dû dire non. Ce n’était pas compliqué : « Non, Laura, pas cette fois. On reste à Paris, on sera tellement mieux chez nous ! » Mais lui dire non, c’était déclarer la guerre, une nouvelle guerre qu’elle gagnera une fois de plus à l’usure. Alors j’ai dit oui. Plus exactement, je n’ai rien dit, ni oui, ni non, rien. Et alors elle a pensé que c’était oui. 
« Donne-moi ton landau, ma minette, je vais le rentrer. Tu ne veux pas ? »
J’aurais dû dire non. 



Je veux pas donner mon landau rose !


Elle m’a tué un 4 novembre, je crois que ce n’était pas prémédité. 

Mes parents ont dit que j’avais eu une méningite, qu’on avait rien pu faire : c’était mieux, plus discret, correct, personne ne poserait de question. D’autant que la méningite effraie : ne pas en parler, c’est un peu la tenir à distance. Personne n’a envie d’avoir un enfant mort dans sa vie, sauf elle, alors elle m’a tué.

On m’a mené au cimetière dans un petit cercueil blanc. Ma mère sanglotait et trébuchait tout au long du chemin et mon père la tenait, la guidait, la portait tant bien que mal sur le sentier en gravier qui menait à ma tombe, cette tombe qui serait un jour la leur, elle l’avait dit, elle avait hâte. 

Ils avaient confié ma soeur à une voisine. C’était mieux… Elle était si jeune, mieux valait qu’elle ne voit pas tout ça… Dieu sait comment elle allait grandir avec de tels souvenirs !… Puis tout était allé très vite et ils étaient rentrés.

Depuis ce 4 novembre, je suis au cimetière et je suis ici, je les vois, je les entends. Ils m’intéressent.

A propos de Frédérique Kalam

… in progress. Enfin j'espère. :)