On ne prononce pas le H dans je te hais. On n’invite pas le voisin comme ça, juste pour faire connaissance. On n’utilise pas « trop » en emphase du « très », le trop a une connotation négative. On n’en fait pas trop, on mesure ses élans. On ne veille pas à « sujet verbe complément » comme dans les dissertations, ce n’est pas systématique à l’oral. On ne s’attend pas à reconnaître des amis dans une foule. On dit pardon quand on frôle quelqu’un. On s’excuse tout le temps, on se frôle tout le temps. On n’a pas le droit d’écouter de la musique forte après 22 heures, même si les voisins apprécient le groupe. On met toujours la ceinture de sécurité en voiture. On dit au revoir quand on sort d’une boulangerie, même si on est sûr de ne jamais y retourner. On fait la queue dans une boulangerie et on doit se décider rapidement devant la caisse pour éviter leurs soupirs de dos. On peut acheter une demi-baguette. On ne peut pas frapper chez les voisins quand on manque de citron ou d’ail pour finir un plat. On s’embrasse, deux bises par joue, pour se dire bonjour même quand on ne se connaît pas. On est de droite ou de gauche, la politique est spatialisée. On partage l’addition au restaurant, sauf exception. On a l’électricité tout le temps, quand elle se coupe c’est alarmant. On peut acheter une pomme seulement au supermarché sans attirer de regard. On ne prononce pas le ne des négations. On dit chais pas ou j’veux pas. On a des espaces verts, de très beaux parcs, l’accès est gratuit. On ne dit pas chéri à un inconnu. On ne mange pas le même taboulé. On boit l’eau du robinet, elle est potable. On ne dit pas ouallah pour s’assurer d’être crus. On parle vite, on ne détache pas les mots, inutile de marquer les blancs. On peut s’embrasser dans la rue, on ne sera pas critiqués pour impudeur. On peut s’embrasser aussi entre filles ou garçons, la police n’interpelle pas les homos pour mauvaise conduite. On n’a pas besoin d’une voiture pour circuler, langueur des transports en commun. On a des plages publiques, on n’est pas obligés de payer pour se baigner en mer. On ne croque pas dans un concombre, dans une tomate, dans une laitue… on les mange en salade. On marche des journées entières sans être dérangées, on a des trottoirs partout et des passages piétons. On a des zones réservées aux piétons. On n’a pas le droit de klaxonner sauf nécessité grave. On respecte le Code de la route, il est affiché et tout automobiliste le connaît. On ne sursaute pas quand une porte claque. On a des adresses, on ne s’angoisse pas à chaque envoi par la poste. On a des feux qui organisent la circulation. On a des droits civiques. On a des devoirs aussi, payer des impôts par exemple ou voter. On peut emprunter des livres gratuitement dans les bibliothèques. On peut rentrer au centre Pompidou sans payer. On peut aller au cinéma seule. On peut même aller seule au restaurant, au café. On passe des journées entières sans parler à personne, des semaines parfois et la langue est lourde quand ça reprend. On visite les églises sans prier, le silence s’installe comme évidence et nécessité.
C’est le « on » Heideggerien?
le on du nous 😉
J’aime le on. Il dit pour moi l’étrangeté du monde, comme dans l’Enfant bleu de Bauchau (on ne sait pas, moi, madame). Comment peut-on être Persane ? Comment peut-on n’être personne ? À Paris, on trouve plus facilement la réponse qu’en province, je crois.
oui, réhabiliter ce on critiqué souvent. je l’aime aussi Emmanuelle, il dit l’étrangeté du monde, oui tu as raison, c’est beau, et il dit aussi le différent et le commun, ce paradoxe humain. merci
Rétroliens : #L7 | Les marées heure par heure (direct) – Tiers Livre, explorations écriture