Six jours à rebours. Comment se souvenir ? Le jour de sa rencontre avec le vieil homme sur sa mule ? Ou plutôt le jour où il a croisé la petiote dans le pré des brebis escortées de leurs petits ? Il la revoit, jolie gosse insouciante, en train de sautiller entre les bêtes et leur force paisible s’impose à lui telle une implacable vérité.
Sept ou huit jours en amont. Voilà qu’il suit le chemin de côte, s’en fie à la lisière phosphorescente des vagues, s’enfonce dans un pays sans nom.
réécriture 1
Six jours à rebours – à moins que ce ne soit sept. Comment se souvenir exactement ? Il lui faudrait trouver un repère, quelque chose de tangible à quoi rattacher sa mémoire, ainsi recomposer le fil des événements les plus insignifiants. Était-ce le jour où il avait croisé la petiote ? Elle était dans le pré des brebis escortées des petits, il la revoit en train de sautiller entre les bêtes, une jolie gosse pleine d’insouciance habituée à cette vie de campagne, la seule qu’elle avait éprouvée jusqu’ici, la seule envisageable. Avait-elle ressenti sa présence ? La force paisible du tableau lui revient dans toute sa clarté.
Sept ou huit jours en amont. Voilà qu’il avait rattrapé le chemin de côte après une longue traversée à l’intérieur du pays. Il était heureux de cela. Désormais il s’en fiait à la lueur émanant des vagues, à leur lisière phosphorescente. C’est à partir de là qu’il avait eu le sentiment de quitter un monde pour un autre, de franchir une limite, de s’enfoncer dans un pays non répertorié sur les cartes.
réécriture 2
Six jours à rebours – à moins que ce ne soit sept, il ne pourrait le dire. Il ne se souvient pas assez bien. Il cherche quelque chose de tangible, un repère, un événement de rien qui l’aurait marqué sur le moment et qui pourrait lui revenir en mémoire, l’aider à rétablir le fil des choses rattachées au voyage : un lacet défait, une pause dans le fossé, un cri d’oiseau, une rencontre, un grain soudain. Etait-ce le jour où il avait croisée la petiote ? Il se souvient qu’elle était dans le pré des brebis escortées de leurs nouveau-nés. Elle sautillait entre les bêtes, une jolie gosse pleine d’insouciance toute occupée à sa vie de campagne, la seule vie qu’elle avait éprouvée jusqu’ici, la seule envisageable. Elle l’avait forcément remarqué quand il était passé au long de l’enclos. Ou alors était-ce le jour où il avait ressenti une présence derrière lui, autour de lui ? Un animal sans doute. Un animal habitué à être chassé, un animal qui se méfiait, l’avait débusqué et le surveillait depuis la crête des collines. Il parviendrait à l’apercevoir l’un des jours suivants, allongé sur une pierre. Une femelle au pelage épais, magnifique, presque tapie contre le rocher à s’effacer, à se confondre bien qu’elle eut le poil fauve, la queue repliée sur son museau. Et chaque fois qu’il avait remué un bras en l’air pour lui faire signe ou l’effrayer, elle avait tendu le museau et avait glapi comme pour le prévenir de quelque chose.
Sept jours en amont. Plutôt huit ou neuf. Après une longue traversée des terres intérieures, voilà qu’il avait rattrapé le chemin de côte, un chemin qu’il avait pointé du doigt sur la carte. Il était heureux de cela, c’était comme une étape, une première délivrance. Désormais il se fiait à la lueur émanant des vagues, à leur lisière phosphorescente. C’est à partir de là qu’il avait eu le sentiment de quitter un monde pour un autre, de s’enfoncer dans un territoire qu’il ne connaissait pas où tout pouvait être différent, où il pourrait demeurer le temps d’une métamorphose.
Codicille : Tenter l'expérience du recopié qui met en évidence les faiblesses et les manques du texte initial. Explorer de nouvelles bifurcations, de nouvelles matières... J'ai eu l'impression de me faufiler dans des fissures de rocher capables de conduire vers de vastes grottes. Et puis cette forte envie de retrouver ma renarde rouge abandonnée dans son pays de landes depuis trop longtemps...
Très belle leçon de réécriture. Ça s’envole pour se reposer en pluie.
Une leçon, franchement je ne sais pas… mais c’est vrai qu’il faut essayer. Juste reprendre les mots et les laisser s’étendre dans le champ du corps. Mais après ça, on ne sait plus quelle version choisir !
merci de cet écho, chère Louise
C’est exactement cela, une replongée dans ses propres mots, voir ce qui est de trop, ce qui peut s’ajouter, ce qui nous parle véritablement. Et que c’est agréable pour le lecteur de lire la pensée de celui qui écrit.
Merci pour tes mots, pour ta petiote et bonnes retrouvailles avec ta renarde rouge.
Oui, il va falloir que je m’y replonge sérieusement… la renarde me manque
et puis il va falloir que j’aille puiser davantage du côté de la petiote. Du travail pour l’hiver…
Et chouette de savoir qu’il reste intéressant de suivre la pensée qui chemine, transforme, ose ou revient sur ses pas…
Merci tellement Clarence pour cet écho
C’est bluffant. Je me suis surpris à lire tes textes en ordre inverse et ça donne un même sentiment de mise en lumière de l’essentiel. Quand la réduction vaut l’expansion, cela veut sans doute signifier que les mots sont bien choisis, que tout ça est équilibré. Encore une fois, je trouve ça bluffant.
Quelle belle idée de lecture…
Eh oui, pourquoi pas faire le chemin inverse, de l’expansion à la réduction ? Oui, mais alors en final, quelle version choisir ? se débrouiller pour garder les trois et les faire vivre au lecteur ?
j’avoue que je ne sais plus… ah ah