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Il est debout devant (cette confusion d’emblée, devant, derrière, dedans) l’immense porte. Il cherche (toute l’histoire, c’est ça, il cherche, quête du Graal) à déchiffrer (aspect espion à creuser, il y a ce groupe qui l’envoie, cette idée dont je ne sais pas quoi faire) : bois rongé (quelle essence ? sapin, chêne, foillard, érable, ça change tout et je ne sais pas, la grange, la vraie, en quoi elle est, c’est du bois ordinaire, du hêtre peut-être) (et aussi : qui l’a rongé ? quelle est le nom de la vermine ? ce sont des fourmis, étrange idée, les fourmis ne rongent pas le bois ; le bostriche, on en voyait plein, des arbres bostrichés, mais ces arbres-là on n’en faisait pas des portes de grange, on les brûlait), fresques (immédiatement Pompéi dans l’esprit, cette question d’un élève, en tant que prof d’histoire est-ce que vous êtes allé dans toutes ces villes d’Europe, Rome, Pompéi, et ma stupéfaction de répondre non, comment se fait-il que je ne me sois jamais rendu ni à Rome – viendront les clous de la croix – ni à Pompéi, un lieu comme cette grange, figé sans ses habitants, vestige d’un passé qui fascine) à la craie (le son de la craie qui crisse, ce parfum d’enfance, et le tableau noir, encore dans mes classes d’aujourd’hui, parfois ; une chanson aussi, comment ça allait, c’était un gamin qui rêvait, Yves Montand, j’entend sa voix, un texte de Prévert, la craie redevient arbre, ce n’est pas cela, c’est le pupitre qui redevient arbre, et le porte-plume redevient oiseau, et justement, parmi ces fresques à la craie, il y a un oiseau, le perroquet, est-ce que c’est déjà dans ce chapitre qu’il apparaît ?), personnages sans bras (ou avec un seul bras, unibras ; est-ce qu’il existe l’équivalent d’unijambiste pour les bras ? manchot, ce n’est pas cela, c’est aussi un oiseau, un manchot, et il faudra évoquer les poules dans les exposés, les moutons, les vaches, les chevaux, les chatons, les mouches et les poules) aux yeux écarquillés (est-ce que ce mot, écarquillés, peut s’appliquer à d’autres choses qu’à des yeux ? est-ce un cliché littéraire comme ce racontait Sébastien Bailly dans sa vidéo, le verbe glaner qui ne s’applique plus désormais qu’aux informations, et mon personnage lui aussi devra glaner des informations, mais dans le livre, plus loin, j’utilise le verbe glaner dans son sens originel, s’en aller glaner aux champs, encore une chanson, l’histoire de Saint Nicolas, il était trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs ? Je me demande si je ne suis pas en train de m’éloigner de l’exercice, si ces notes permettent véritablement de réécrire, parce que je ne modifie pas une virgule, j’ajoute juste – mais c’était dans la consigne, ça – tout ce qui me passe par la tête et comment voulez-vous en même temps ajouter tout ce qui vous passe par la tête et modifier une virgule ? peut-être qu’à la prochaine réécriture on s’attaquera aux virgules) (je n’en suis qu’à la troisième ligne du texte, il faut que j’avance), deux manivelles (encore une chanson, un ver d’oreille instantané, manivelle tourne, un drôle de cartoon, manivelle tourne, mais c’est ma vraie vie qui tourne, c’est Alain Souchon) rouillées, un câble coupé, une ouverture (en ouverture du livre une ouverture, et penser aussi : une couverture) pour y glisser l’œil (écarquillé aussi, l’œil de l’homme ? mais si un œil est écarquillé, est-ce qu’il peut se glisser dans les ouvertures et sous les couvertures ? notre homme serait, puisque c’est un espion, sous couverture, comme – certaines références surgissent à l’improviste – Louis de Funès dans Le Corniaud à la station-service, quel temps fait-il à Paris, couvert mais chaud). Tout est noir là-dedans. (On pourrait faire une #L12 à partir de cette phrase, surtout à cause du là-dedans, qu’il ne faut surtout pas changer) (repenser à cet exercice du parpaing, que j’avais fait avec le mot dedans, il y avait déjà un enfant, le même, moi-même, l’homme dans la grange, c’est la question centrale, est-ce que c’est aussi cet enfant, est-ce que c’est aussi moi-même ?) Contre (devant, derrière, dedans, dehors, mais aussi contre, tout contre, dirait papa) la porte (cette expression toujours mise à distance depuis le début du projet, sympathique comme une porte de grange, est-ce qu’on peut en faire quelque chose ?), des cordes (on se pend dans des granges, hier dans le journal filmé d’Arnaud de la Cotte, il était question de cela, un homme de cent ans qui s’était pendu dans sa grange et ses petits-enfants qui rôdent autour de la maison, mais je ne veux pas de tragédie, je ne veux pas de pendu, je repense à mon frangin qui avait préparé le nœud et un tabouret avec le dessin des pieds, c’était pour rire et c’était au hangar, pas dans la grange, mais on ne se pend pas pour rire, cinq-six, c’est tout ce qu’il me revient de la Ballade des pendus, plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre) pendent (ce sont les cordes qui pendent, pas les pendus) à des crochets. Rouillés aussi, les crochets (à la couture, on faisait du crochet, ça n’a rien à voir, mais j’aimais bien ça, on faisait des pompons aussi et j’ai dit à mon frère hier, le même que celui de la corde et du tabouret, que s’il se tricotait un bonnet pour l’hiver je lui ferais le pompon, on tourne la laine, celle des moutons à Ernest, autour d’un carton, on fait un nœud (pas un nœud de pendu) et on coupe, et voilà que dans les dérives de mon esprit se pointe Clint Eastwood, c’est l’Amérique de l’enfant, ce nom apparaîtra plus tard dans le livre, Clint Eastwood qui tire sur la corde, le même Clint Eastwood, dans le même film, Le Bon, la Brute et le Truand, qui dit c’est toi qui creuses.) ; élimées, les cordes (encore un cliché ? cordes élimées, à éliminer ?) ; délabrée, la porte, prête à s’écrouler (est-ce que ça s’écroule, une porte ? un autre verbe ? s’effondrer ? se casser la figure ? se chier la gueule ? souvent, quand on réfléchit à changer un détail, on revient à la case départ, laissons-là s’écrouler, cette porte, même si s’effondrer, peut-être, on verra à la prochaine réécriture.). Une poignée (dès le premier jet, j’avais hésité, on devrait dire une molette, je crois, mais notre homme qui arrive n’a pas ce vocabulaire en magasin, et c’est possible que ce mot molette (je pense : mimolette) (et mimolette, je ne sais pas trop ce que c’est non plus) ne soit pas non plus le mot adéquat, une poignée, c’est plus simple, et il faut toujours privilégier la solution la plus simple). Il y porte (il porte à la porte, fait du porte-à-porte, trop facile, le jeu de mots ; mais en est-ce vraiment un, de jeu de mot ?) une main. La porte s’ouvre (Sésame, ouvre-toi, il y avait dans les commentaires cette idée d’un conte de fée, cela vient peut-être de là, la porte s’ouvre toute seule, ce n’est pas l’homme qui ouvre la porte.) Dedans, c’est vide. Il n’y a personne (qu’est-ce que des gens foutraient là ?). (Trop de notes, avancer plus vite, me dis-je en m’étirant, ça fait bientôt une heure que j’écris et je n’en suis pas encore à la moitié du passage à recopier.) Il avance lentement (moi aussi, magne-toi). Des rayons de soleil (en voilà justement derrière le rideau, il est presque neuf heures du matin, il fait grand beau, on ne va pas rester derrière cet ordinateur toute la journée, si ?) s’insinuent (encore un cliché, j’entends à nouveau la voix de Sébastien Bailly dans cette vidéo vue hier soir, des rayons de soleil s’insinuent, quand même, mais sur Google, à part mon propre texte, il n’y a qu’une seule autre occurrence, c’est à propos de la Symphonie n°3 de Kurt Atterberg, et ces rayons de soleil (en voilà en pleine figure tout à coup) s’insinuent avec une extrême délicatesse, ce qui redouble le cliché, me semble-t-il, sauf qu’avec deux occurrences seulement sur Google, on ne peut pas vraiment parler de cliché, mais ce qui est certain, c’est que je vais aller l’écouter, cette symphonie, ça me mettra dans l’ambiance) entre les planches de la paroi (mais est-ce que c’est avec extrême délicatesse, non, c’est violent, un rayon de soleil, c’est un début de coup de soleil, et il faut que je descende le store parce justement le soleil) (c’est joli, cette musique, le premier mouvement a pour titre Soldis (Sun Smoke), fumée de soleil, c’est plus original que rayons de soleil qui s’insinuent, c’est une musique qui fait penser à Richard Strauss, du moins c’est ce qui me vient, la Symphonie alpestre), éclairant une table en métal, un porte-manteau (encore le mot porte détourné, et le deuxième mouvement de la symphonie, c’est Storm, plus question de rayon de soleil, ça n’a plus rien à voir avec ce que j’écris mais puisque c’est avec une extrême délicatesse que ma table et mon porte-manteau sont éclairés, des violons calment le jeu, ça colle mieux), un mur de briques (de chez Morandi, je pense forcément à ce prof de gym qu’on avait au collège). (Je devrais mettre fin à cet orage symphonique. D’habitude, je n’écris pas en musique, et en plus, c’est un peu cliché, cette manière de mettre en musique l’orage, ça date de quand d’ailleurs ? 1914-1918, sur un îlot suédois, loin de la guerre). Des gens jadis. (La phrase est surlignée, ça a failli être la #L12, mais ces gens jadis, c’était qui ? Kurt Attenberg est né à Götteborg en 1887. Il est mort à Stockholm en 1974. Une harpe, l’orage se termine, le troisième mouvement aura pour titre Sommarnatt, nuit d’été, songe, il faudra que je fasse un chapitre sur la grange la nuit) Des enfants : un ballon crevé, un vélo sans selle (ce witz avec des bonnes sœurs ou l’histoire des carottes râpées, les idées qui me viennent ne sont pas du tout celles qui devraient venir), des dessins sur le sol (des pas d’australopithèques, on a trouvé cela quelque part en Afrique), mêmes étranges bonshommes (comme si la grange, c’était Lascaux) que ceux sur la porte, chats à moustaches exagérées, maisons à cheminée fumante, un perroquet (sirop menthe et pastis), plus précis que les autres dessins (ou d’un autre type de précision, ça va beaucoup mieux pour écrire, le troisième mouvement), mais s’effaçant (dans Roma de Fellini, cette fresque qui s’efface au fur et à mesure qu’elle est découverte, c’est un peu ça aussi, mon livre ; je regarde la scène sans le son, ces foreuses, ça ne va pas du tout avec la nuit d’été d’Attenberg), une fleur aussi, belle fleur rouge (un jour viendra où une fleur fleurira, le final du Roi David, Arthur Honegger, texte de René Morax, le chanter le week-end prochain) sans nom (Morax aurait pu dire ce que c’était comme fleur, un coquelicot, une rose, un dahlia, forcément un dahlia, c’est le nom de la vache, mais c’est une vache noire et la fleur est rouge, et Le Dahlia Noir, c’est une histoire affreuse, « le 15 janvier 1947, dans un terrain vague de Los Angeles, est découvert le corps nu et mutilé, sectionné en deux au niveau de la taille, d’une jeune fille de vingt-deux ans », voilà ce qui est écrit sur la quatrième de couverture, mais dans notre grange, il y a certes une fleur et une vache qui s’appelle Dahlia, mais ce n’est pas une ambiance à la James Ellroy que nous aimerions y installer, ni cette autre histoire de grange, chez Faulkner, Sanctuaire, une autre jeune fille, un viol, non, dans notre grange on ne viole et n’assassine pas). Il lève la tête. C’est gris et c’est (ma manie du c’est, je commence à m’y faire) plein de toiles d’araignées (ajouter aux moutons, aux vaches, aux chevaux, aux chatons et aux mouches les araignées ? reconstituer ce fichier des animaux de mon enfance, et penser en même temps au fichier des sports et ces noms qui ne s’oublient pas, Nadia Comaneci, Sergei Bubka, Katarina Witt, Pirmin Zurbriggen, Laurent Fignon, Carl Lewis, Merlene Ottey, Steffi Graf, Diego Armando Maradona). (Comme des araignées, ils se balancent, les sportifs, comme des éléphants, les gymnastes aux anneaux, ou cette chanson – encore Yves Montand – une demoiselle sur une balançoire, et penser qu’à la bénichon, dans les granges, dans celle-ci aussi, on montait jadis de grandes balançoires.) Il avance vers la porte du fond (mais est-ce vraiment le fond ? nouvelle confusion, devant, derrière, au fond, à droite, à gauche, qu’est-ce qui prouve que ce n’est pas par le fond qu’il est entré ?) (Il faut réfréner les chansons dans ma tête : c’est moche quand le fonds fond, Bobby Lapointe, rien à faire ici), aussi haute de celle de devant (ou de derrière, quelle est la géographie de cette grange ?). Une fourche y est suspendue. Il ouvre. (Comme si c’était là le début, l’ouverture.) Le voilà dehors (là, j’ai un repère, on ne peut pas confondre le dehors et le dedans, si ?) : un tas de bois (penser au grand-père, à sa maniaquerie pour empiler le bois) d’un côté, une charrue de l’autre ; un des ces arbres d’ornement (c’est un sumac de Virginie mais lui donner ce nom, c’est trop, garder à l’esprit que ma grange est une grange de fiction.) dont le nom lui aussi lui échappe (tout lui échappe, parce que c’est lui, jadis, qui s’est échappé) ; un mur, un jardin, une route (casser le rythme ternaire ? un cœur, un arbre, un oiseaux ; on a tous un banc, un arbre ou une rue, la chanteuse, c’était Séverine, Prix Eurovision de la Chanson, 1971, le pays, c’était Monaco). De l’autre côté de la route : des moutons. Seule présence vivante (et l’homme dans la grange, il n’est pas vivant ? ce serait peut-être lui, le fantôme, finalement.). Quatre moutons couchés dans l’herbe.
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(Deuxième étape : me concentrer sur le texte, éviter les rêveries et les chansons, m’attaquer à la matière des mots, sabrer, ajouter, toucher, ceci n’est pas un livre sacré.) Il est debout (ou seulement : debout) (essayer de d’ôter le il) (répéter le mot debout). Debout devant l’immense porte. Cherche à déchiffrer (pas certain que cela soit mieux) (décoder ? lire ?) (avec il, c’est mieux) : bois rongé, fresques à la craie, personnages sans bras aux yeux écarquillés, manivelles rouillées (pourquoi y en avait-il deux ?), câble (ôter l’article, rendre la liste plus rudimentaire, l’allonger ?) coupé, une ouverture pour y glisser l’œil. Il regarde (nécessaire ? s’il glisse l’œil, forcément il regarde, mais revenir à il, le faire agir) : noir. Tout est noir (là-dedans ? trop trivial, ce sont les autres personnages qui disent là-dedans). Contre la porte (à la porte ? sur la porte ?) pendent des cordes à des crochets. Rouillés aussi, les crochets. Élimées, les cordes. Délabrée, la porte, près de s’effondrer (le danger quand on réécrit, c’est de vouloir absolument modifier, alors que ce n’était pas nécessaire, cette deuxième recopie expérimente des variantes, la troisième décidera s’il faut revenir au texte d’origine, réinstaller des points-virgules, retrouver la maladresse du premier jet). Une molette (le problème si je choisis ce mot, c’est que je ne suis pas certain que ce soit le bon mot, une molette, c’est une roulette, et ce truc qu’on tourne sur la porte de la grange, est-ce que c’est une roulette ? à poignée, le Petit Robert donne les synonymes suivants : bec-de-cane (ce n’est pas la bonne forme), béquille (on confondrait), crémone (inconnu au bataillon), espagnolette (trop exotique), clenche (belge) ; aucun ne convient : on reviendra sans doute à poignée). Il y porte la main. La porte est ouverte. Dedans, c’est vide. Personne (raccourcir les phrases, les vider, comme la grange est vide). Il avance (les délester de leurs adverbes, ce n’est que le premier chapitre, c’est après que cela prendra corps, c’est après que les phrases enfleront). Des rayons de soleil s’insinuent (puisque ce n’est pas un cliché, gardons-le) à travers les planches de la paroi, éclairant puis rejetant dans l’ombre une table de métal, un porte-manteau, un mur de briques rouges (voilà déjà que ça grossit, le style télégraphique ne me va pas, j’aime quand la phrase se perd en elle-même, j’aime quand le corset de la ponctuation saute.). Des gens jadis. Des enfants : ballon crevé, vélo sans selle, dessins au sol, mêmes étranges bonshommes que ceux sur la porte, chats (ai commencé un exposé sur les chats hier, quel rôle donner aux chats dans mon histoire ?) à moustaches exagérées (trouver mieux que cet adjectif ? non, c’est celui-là qu’il faut, je crois.), maisons à cheminée fumante, un perroquet, plus élaboré (mieux que précis ? peut-être lister d’autres qualificatifs pour ce perroquet), plus coloré, plus précis (garder malgré tout le mot précis, si c’est celui qui est venu en premier, ce n’est pas pour rien ; plus je réécris, plus je me dis que ce n’est pas nécessaire, ou du moins qu’effacer définitivement ce qui s’est écrit en premier est impossible, c’est déjà trahir sa propre écriture.) que les autres dessins, mais s’effaçant (effacer cet effacement ?) (je viens d’essayant d’ajouter un truc du genre perdant petit à petit l’éclat qui fut le sien mais ça ne va pas, il faut rester au présent, l’éclat passé renaîtra (ou pas) quand l’homme aura arpenté cette grange de manière plus assidue), une fleur aussi, une belle fleur rouge (si je garde le rouge ici, il faut une autre couleur pour les briques, leurs deux rouges n’ont rien à voir ; les briques seraient-elles ocres, orange, ou seraient-elles sans couleur précise, seulement des briques, couleur brique, ça existe, brique, comme adjectif de couleur, mais je ne vais quand même pas écrire un mur de briques brique, même si je suis tenté ; non, ce ne serait pas dans le bon ton) sans nom. Il lève la tête : une charpente pleine de toiles d’araignées (c’est dur d’ôter les c’est, mais ajouter le mot charpente me plaît, supprimer la grisaille aussi). Il avance vers la porte du fond : une fourche suspendue. Il ouvre. (J’assèche mon texte.) Le voilà dehors (on dirait qu’il vole, que c’est un fantôme, il y avait déjà cela dans les commentaires, l’idée de fantôme, je crois, ce personnage n’a aucune caractéristique, seule la grange est décrite, et encore) : un tas de bois, une charrue ; un arbre (le décor d’En attendant Godot : et si tu l’écrivais quand même, ce truc de l’arbre dans l’autre atelier ?) (sans nom, comme la fleur, mais essentiel de savoir que la fleur est un dahlia et l’arbre un sumac de Virginie), une route (arrête de faire ton Beckett, étrange pensée, faire son Beckett, c’est une bonne idée, non ?) (sauf que la chanson revient, un banc, un arbre ou une rue, et que ça n’a rien à voir avec Beckett). De l’autre côté de la route, des moutons. Quatre moutons couchés dans l’herbe. (Le chapitre, déjà court au départ, a fondu. Demain, fondra-t-il encore ou reprendra-t-il son poids perdu ?).
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(Repartir de la deuxième copie, délestée des notes, réécrire avec ce sentiment, dès la lecture de la première phrase qu’on en reviendra à la version une). Il est debout devant l’immense porte. Il cherche à déchiffrer (répéter debout, supprimer le il, artifices qui sentent trop la réécriture) : bois rongé, fresques à la craie, personnages sans bras aux yeux écarquillés, manivelle rouillée, câble coupé, une ouverture pour y glisser l’œil. Il regarde : tout est noir (ce noir tout seul, trop cinématographique, pas assez discours intérieur). Sur la porte, à des crochets, des cordes pendent (quelque chose est à travailler dans le rythme de cette phrase, impression qu’on pourrait à l’infini en intervertir les syntagmes). Élimées, les cordes ; tordus, les crochets (on évite ainsi la double rouille et bien sûr qu’ils sont tordus, les crochets, comme ceux tout en haut du hangar, ce ne sont pas les mêmes crochets, mais le temps tord les crochets plus qu’il ne les rouille, c’est évident.) ; délabrée, la porte, prête à s’effondrer (près de ou prête à ? question de manuel de grammaire ; (je me demande, pour les points-virgules, si ce n’est pas à nouveau un peu artificiel) la réponse correcte serait près de, j’imagine, la porte n’étant pas un objet doué de volonté, mais c’est prête à qui a surgi en premier, donnant vie à la porte ; il faut se méfier des manuels de grammaire). Une poignée (définitivement, aucun autre mot ne convient). Il y porte la main, ouvre la porte (il n’y a pas de synonyme au mot porte). La grange est ouverte (le mot grange apparaît ainsi pour la première fois dans le corps du texte, c’est l’ouverture du livre éponyme). Dedans, c’est vide. Il n’y a personne (faire des phrases, parce que dans la tête du personnage, il y a cet il y a, c’est la grange qu’il y a ce qu’il y a, c’est écrit). Il avance. Des rayons de soleil s’insinuent par les planches (tourner autour de la préposition, sentiment que oui, c’était celle-ci que je cherchais) de la paroi (par puis paroi, le choix de par est d’ordre musical et c’est l’essentiel dans l’écriture, la musique), éclairant puis rejetant dans l’ombre une table de métal, un porte-manteau, un mur de briques (garder le rouge pour la fleur). Des gens jadis. Des enfants : ballons crevés (il en faut plusieurs), vélos sans selle (comme si la grange était encombrée, alors même qu’on vient d’écrire qu’elle était vide, l’encombrement comme un révélateur du vide, c’est-à-dire de l’absence des humains et des animaux), dessins au sol, mêmes étranges bonshommes que ceux sur la porte, chats à moustaches exagérées, maisons à cheminées fumantes (il leur faut plusieurs cheminées, à ces maisons, insinuer, comme pour les rayons de soleil, du foisonnant dans le vide), un perroquet, plus élaboré, plus coloré, plus vif (ce n’est pas la précision que je cherche, c’est la vie) que les autres dessins, mais s’effaçant, et une fleur aussi, une belle fleur rouge sans nom. Il lève la tête. La charpente est pleine d’araignées. Il avance vers l’autre porte (s’il n’y a ni de devant ni de derrière, il n’y a pas de fond non plus). (Trop démonstratifs, les deux points, simplement écrire des phrases qui se suivent) Une fourche y est (l’être est, ne pas avoir peur du verbe être) accrochée (mieux que suspendue ? éviter trop de pendaisons dans les granges, je pense à cette jeune fille suicidée hier, je ne devrais pas, vingt-trois ans, non, ce ne sont pas des histoires de gens qui se pendent, même pas des histoire de fourches suspendues, que je veux raconter, je veux raconter des histoires de gens qui s’accrochent). Il ouvre la porte. Le voilà dehors, entre un tas de bois et une charrue. Il y a aussi un arbre et une route, et de l’autre côté de la route, des moutons. Quatre moutons couchés dans l’herbe. (Ce sentiment, arrivé au bout, qu’on pourrait continuer l’exercice ad aeternam et qu’à chaque fois on toucherait à des détails, prenant à chaque le risque de faire s’écrouler l’édifice entier mais n’y parvenant jamais.)
Quel travail ! Je n’ai pas cette patience et j’ai l’impression que je m’y perdrais. Beaucoup de plaisir à farfouiller dans l’humour et les hésitations. J’adore les chats à moustaches exagérées.
Moi aussi, j’ai eu l’impression de m’y perdre (mais comme les chats, avec ou sous moustaches exagérées, on retombe toujours sur ses pattes). Merci !
belle perf ! en plein coeur du sujet !
Merci, j’ai beaucoup aimé cette méthode pour réécrire et suis ravi d’avoir visé en plein coeur.