Elle avance sur des mondes qui se superposent, c’est tout ce qu’elle connait, elle marche sur un sol palimpseste, elle marche sur un sol aux mille feuilles, aux mots rayés, soulignés, elle marche sur un sol aux feuilles chiffonnées, à tâtons, elle avance et peut affleurer d’autres réalités, des mondes qui émergent, sous d’autres, des mondes comme des plaques sismiques, qui se heurtent, et débordent, elle marche sur la pointe des pieds sur des mondes mouvants, comme du sable, emportés par les vents chauds de son enfance, elle marche et le sol se dérobe, elle marche, parfois saute par-dessus les crêtes d’un monde naissant, qui pousse le sol du monde visible, elle marche et saute comme, enfant, on évite les marques blanches au sol, elle marche et n’est jamais tranquille, elle souffre, halète et titube, elle souffle et se cogne aux encoignures de ces mondes emboîtés, c’est tout ce qu’elle connait quand les autres semblent comme glisser, indifférents aux accros, ignorant la réalité, niant le fait même que des mondes se superposent.
Grammaticalement, c’est une phrase, une seule, qui avance à force de coups de virgules, de blancs, de respirations, de verbes, c’est une seule phrase qui se nourrit d’elle-même, je crois que je veux qu’elle ressemble à la mer, les vagues qui toujours surgissent du dedans, les vagues qui toujours viennent d’on ne sait où, les tonnes et les tonnes, l’esprit ne peut pas se les représenter, les tonnes et les tonnes d’eau qu’il faut pour créer la mer et les vagues, les rouleaux qui semblent infinis, qui narguent toujours, narguent la terre toujours trop étroite pour cette eau, qui narguent le souffle toujours trop faible pour soutenir toute cette eau qui déborde, comme dans mes rêves, quand la mer s’élève, l’océan plutôt, parce que les vagues sont très hautes, l’océan et ses vagues puissantes qui s’élèvent et déferlent, je vois mes phrases ainsi, j’aimerais qu’elles en aient la puissance, ou simplement, j’aimerais qu’elles en aient la couleur monotone, c’est bien le bruit que j’ai en tête quand j’écris, c’est le bruit du ressac, le bruit du va-et-vient, d’une ligne à l’autre, parce que quand la prose donne l’illusion d’avancer, elle ne fait que revenir, j’aimerais donc montrer que la prose est illusion et qu’il n’y a rien d’autre que ces aller-retours inexorables, des bras de la mer qui roulent, qui enroulent, toujours, alors ma phrase, je voudrais qu’elle leur ressemble, j’essaye de la tenir toujours un peu plus, je la tiens un peu, pour la tenir, je me corrige, ma phrase revient mais son roulis hésite et bégaie, elle avance en s’effaçant, en se reprenant, elle se jette vers l’avant, désespérée, recule et se jette à nouveau,
Elle avance sur des mondes qui se superposent, c’est tout ce qu’elle connait, elle marche sur un sol palimpseste, elle marche sur un sol aux mille feuilles, aux mots rayés, soulignés, elle marche sur un sol aux feuilles chiffonnées, à tâtons, elle avance et peut affleurer d’autres réalités, des mondes qui émergent, sous d’autres, des mondes comme des plaques sismiques, qui se heurtent, et débordent, elle marche sur la pointe des pieds sur des mondes mouvants, comme du sable, emportés par les vents chauds de son enfance, elle marche et le sol se dérobe, elle marche, parfois saute par-dessus les crêtes d’un monde naissant, qui pousse le sol du monde visible, elle marche et saute comme, enfant, on évite les marques blanches au sol, elle marche et n’est jamais tranquille, elle souffre, halète et titube, elle souffle et se cogne aux encoignures de ces mondes emboîtés, c’est tout ce qu’elle connait quand les autres semblent comme glisser, indifférents aux accros, ignorant la réalité, niant le fait même que des mondes se superposent.
Le pronom s’impose tout seul et porte en lui quelque chose qui m’échappe. Chaque fois que je le répète, qu’il se répète malgré moi, j’ai cette impression de porter la voix de quelqu’un d’autre, j’ai cette autre qui parle à travers moi, qui parle de moi. Je l’écoute.
Elle avance sur des mondes qui se superposent, c’est tout ce qu’elle connait, elle marche sur un sol palimpseste, elle marche sur un sol aux mille feuilles, aux mots rayés, soulignés, elle marche sur un sol aux feuilles chiffonnées, à tâtons, elle avance et peut affleurer d’autres réalités, des mondes qui émergent, sous d’autres, des mondes comme des plaques sismiques, qui se heurtent, et débordent, elle marche sur la pointe des pieds sur des mondes mouvants, comme du sable, emportés par les vents chauds de son enfance, elle marche et le sol se dérobe, elle marche, parfois saute par-dessus les crêtes d’un monde naissant, qui pousse le sol du monde visible, elle marche et saute comme, enfant, on évite les marques blanches au sol, elle marche et n’est jamais tranquille, elle souffre, halète et titube, elle souffle et se cogne aux encoignures de ces mondes emboîtés, c’est tout ce qu’elle connait quand les autres semblent comme glisser, indifférents aux accros, ignorant la réalité, niant le fait même que des mondes se superposent.
Je crois que cette phrase en cache plusieurs, en réalité, je mens, ce sont plusieurs phrases. Des propositions indépendantes, juxtaposées ou coordonnées. Parfois des propositions dépendantes, enfin subordonnées, des relatives notamment, et puis des participes.
Elle avance sur des mondes qui se superposent, c’est tout ce qu’elle connait, elle marche sur un sol palimpseste, elle marche sur un sol aux mille feuilles, aux mots rayés, soulignés, elle marche sur un sol aux feuilles chiffonnées, à tâtons, elle avance et peut affleurer d’autres réalités, des mondes qui émergent, sous d’autres, des mondes comme des plaques sismiques, qui se heurtent, et débordent, elle marche sur la pointe des pieds sur des mondes mouvants, comme du sable, emportés par les vents chauds de son enfance, elle marche et le sol se dérobe, elle marche, parfois saute par-dessus les crêtes d’un monde naissant, qui pousse le sol du monde visible, elle marche et saute comme, enfant, on évite les marques blanches au sol, elle marche et n’est jamais tranquille, elle souffre, halète et titube, elle souffle et se cogne aux encoignures de ces mondes emboîtés, c’est tout ce qu’elle connait quand les autres semblent comme glisser, indifférents aux accros, ignorant la réalité, niant le fait même que des mondes se superposent.
C’est quoi le monde ? Comment je me le représente ? De quel monde parlè-je ?