Trous et intrus de mémoire…
Phrase n° 23 de la # L7, phrase programme ou titre, rappel, post-it, penser à… phrase qui annonce le péril de l’oubli, les excès du faux et ses détournements, met en garde, s’affirme comme précaution, type antisèche des examens d’avant. (Les équipements actuels ont très certainement modifié la façon des antisèches ou bien ?)
Trous et intrus de mémoire…
Pas d’article. Phrase décapée. Pas de verbe non plus. Un os de phrase. Sec. Rongé, dépouillé, nu. Pas de chair.
Trous et intrus de mémoire…
Avance toute seule sur la page blanche. Fait songer à l’un de ces bateaux qui rentre ou sort du port, poussant avec lui l’idée du large et des voyages, mais vite oublié sitôt parti ou perdu de vue, rangé englouti derrière d’autres images… Exotisme de pacotille, verroterie, aventure de carte-postale – Ou bien une île à peine, un récif, un bout de caillou de rien du tout. En somme une déception, la phrase ne s’engage à rien, tourne court. Posée là on dirait par inadvertance.
Trous et intrus de mémoire…
Cette manie ou nécessité récurrente d’aller par deux, paire clouée par la conjonction de coordination, ici registre de l’assortiment d’opposés (faussement). Le trou vertigineux de la béance côtoie le trop-plein de l’intrus, la boursouflure de l’envahisseur. Mais il s’agit d’une association de malfaiteurs : les deux – chacun à sa manière, encombrent, faussent le jeu ou le font ?
Trous et intrus de mémoire…
La phrase se révèle d’une discrète duplicité. On ne sait plus décider si trous et intrus qualifient ces territoires de la mémoire, devenue vacants, perforés, ou colonisés, ou bien si c’est elle qui évoque à distance les trous et intrus d’une histoire dont elle est porteuse, un récit avec ses lacunes et bifurcations inattendues, ses secrets, ses silences, ses visiteurs à l’improviste si déterminants. Les inopportuns. Les agresseurs. Les violeurs. Les hurleurs.
Trous et intrus de mémoire…
La mémoire et sa dimension langagière. Bien sûr Barthes et le fascisme de la langue, les trous et les intrus comme des effets de ce que les mots construisent, comprennent, mais aussi ignorent, délaissent, imposent, travestissent, et l’obligation totale d’en passer par eux.
Trous et intrus de mémoire…
Une étrave de phrase dans l’océan de blanc. Venu dans l’entre-deux d’un sommeil-éveil, ce temps étrange, ce soupir profond qui viendra, quand l’entourage sait déjà ce qu’il advient de toi qu’encore tu ignores. Alors on pense, parfois murmure : va tu peux aller. C’est ta dernière direction. Ce temps si étrange à inventer : l’autre dicte ton dernier mot.
Beau, silencieux, toujours, ce mystère des trous et des intrus de mémoire qui se mangent entre eux. Merci pour cette justesse et cette chute.
ah merci ! bien eu du mal et pourtant ça relance la mécanique – aide à repartir un peu depuis une longue stagnation ! (un peu submergé en fait par trop de trop !)
Il était temps que tu t’y mettes : je n’arrivais pas à commencer.
ah ! si seulement je pouvais marcher dans tes pas ! Je te lis toujours en état de lévitation ou approchant !
on devrait étudier la logique du peloton plutôt que celle de la phrase, mais pour cette fois-ci, tu es le régional de l’étape.
toujours un malaise à cette notion d’un «intrus» dans ce qui nous définit au plus profond, ce qu’on est de mémoire
c’est vrai, c’est paradoxal et pourtant combien d’empiètements, de prises de possession par excès ou par défaut viennent parfois marquer au fer rouge, altérer à jamais, quelquefois à notre insu même… Effets des traumatismes, des non-dits etc…
Sublime ! Oh, comme je voudrais l’avoir écrit ! C’est bluffant. « La phrase se révèle d’une discrète duplicité. On ne sait plus décider si trous et intrus qualifient ces territoires de la mémoire, devenue vacants, perforés, ou colonisés, ou bien si c’est elle qui évoque à distance les trous et intrus d’une histoire dont elle est porteuse, un récit avec ses lacunes et bifurcations inattendues, ses secrets, ses silences, ses visiteurs à l’improviste si déterminants. Les inopportuns. Les agresseurs. Les violeurs. Les hurleurs. » Publie vite que je puisse te citer. Trop envie de lire ce texte à haute voix ! Merci.
Grand merci à toi !