Mon père est un grain de riz. Arrêt sur image : infinitésimale vision du père vu au microscope de l’enfant. Mon père est un grain de riz, une phrase simple, courte, sujet, verbe, complément, rien de déplacé, rien de révolutionnaire. Mon père est un grain de riz non pas une bouchée de riz, ou du riz, mon père est un grain, mon père est un seul grain de riz, une partie pour le tout, une métonymie dans la métaphore, un référant collant, qui colle à la peau, à la peau de l’enfant, à la peau de l’écriture, à la peau du lecteur, alors que le père est ce grain qu’il avale, mais un grain est moins collant qu’une bouchée, un grain peut aussi ne pas être collant, un seul grain est une vision technique, dissociante, ces visions synésthétique d’enfants qui ouvrent des brèches, un regard sans priorité qui se pose sur le détail, ce regard qui voit le tout et ses parties, ce regard de l’enfant qui vit dans les métaphores du monde. Le père est un de ces grains de riz que sa fourchette brandit devant l’enfant, le temps qu’il profère ses mots, avant qu’il n’avale cette bouchée et le grain de riz avec, avant que le grain ne disparaisse. Le père est cette entité infinitésimale de riz, le père est cette sidération du fils qui, immobilisé par les mots du père, se pose là, reste en suspension sur la fourchette du père, medium à mi-chemin entre le père et lui, et l’enfant voit les détails et les émanations du père. Le père est cette entité mangeant qui avalera soi-même au final, après avoir avalé son fils dans son flot de mots impromptus qui dévalent l’enfant, le père avalera ce grain de riz, le père avalera le père. La phrase est une tautologie, la phrase est un trou noir où tout disparaîtra, avalé par sa force centripète, alors que ce est, verbe être est à son centre, la phrase ne résistera pourtant pas à la narration qui l’emportera, les mots du père qui s’abattent, le geste du père, la narration est donc un ouragan qui emportera l’existence même de cette phrase, la stravolgerà.
Mais dans l’instantanée de son existence, dans cet arrêt sur image, cette phrase existe ailleurs, complètement ailleurs que là où le narrateur, à l’occasion la narratrice, ira dans son texte. Mon père est un grain de riz, mon père est, mon père existe, mon père est là, mon père est ce grain duquel l’enfant surgit, ce grain qui continue à semer, ce grain qui vit. La phrase est un microscope. Il est possible de scruter, de voir le monde par là, d’y plonger, d’y rentrer dedans, d’y rester, de voir les subtilités, les chinoiseries, de voir un père qui se rétrécit dans un grain, de vivre dans cette métaphore, de se rétrécir soi-même jusqu’à devenir grain de riz. La phrase est un microcosme où il est doux de vivre. La phrase surgit pour résister au texte, c’est la résistance de l’enfance. La phrase est la possibilité d’une narration d’enfant, la possibilité de peupler le monde, de voir la vie secrète du monde. La phrase est la force de l’enfance, une élancée, une ouverture, une brèche qui résiste à la narration, qui bouleverse la narration, la phrase est une barricade contre ce monde qui l’emporte, la phrase est une révolution au sein du texte qui peut conduire tout le texte ailleurs. La phrase est une explosion.