Ton cœur je vais le bouffer, tes yeux les gober avant que les chiens t’arrachent la peau du ventre et que les gabians te récurent la carcasse.
Un peu saignante ta phrase. Tu cherches cette force de percussion des mots brefs et familiers. Pareil pour ces infinitifs que tu souhaites tranchants : bouffer, gober, arracher, récurer. La dureté des « r » aussi ? Images que tu voudrais violentes avec ces yeux gobés, les charognards qui éventrent et récurent. C’est par le cœur que commencent les agapes. Et puis le gabian moins poétique et planant que les mouettes et autres goélands ? Tu en fais peut-être trop dans ton refus des fioritures et du propret ? Et puis cette voix /personnage qui parle au présent, avec sa haine, non pas cette distance du « il » et des verbes au passé. Elle fait un peu tenir la phrase, pas besoin d’un avant ni d’un après ? Une force sourde qui porterait tout le texte, mais tu ne tiens pas la distance. Ta phrase, ton texte, tu les voudrais chiens d’attaque, à agripper, sauter aux yeux du lecteur. À la relire, un peu bancale cette phrase menace : prétendre bouffer le cœur alors que pas encore éventré ? Elle s’emballe un peu la voix. À la relire encore, ta phrase semble une mauvaise réplique des Tontons flingueurs. Pousser plus loin dans la forme ? Faire rougir le correcteur automatique – il te sort parfois une vaguelette d’un de ces violets ! Avec ma posture « rebelle de la prose », ça aurait pu donner :
Ton cœur je vais le bouffer, tes yeux les gober avant que les chiens à t’arracher la peau du ventre et les gabians à te récurer la carcasse bien en dedans.
Les « à + infinitif » et ce « dedans » – pour ce dernier, pas moins de douze occurrences dénombrées par la fonction recherche du PDF.
Codicille :
— Premier soir, surligner dans le PDF les phrases qui pourraient faire ton affaire. En profiter pour débusquer fautes et retouches à prévoir. 17 phrases repérées.
— Au deuxième soir, se dire que ces 17 forment poème en prose, carcasse du texte. Et si ne restait que ça sur le PDF ? Et justement ce que change la mise en page bloc paragraphe :
Il avale d’un seul coup ou déchiquette ses proies par la violence des mouvements de sa face et de ses mâchoires. Avec toutes ces tristesses qu’il trimballe, il pleure beaucoup l’œil du poisson des noyés. Boule de sombre à peser dedans. Son visage à elle comme dévoré par le sombre. Juste une forme à tenir à distance dans le dedans. Vivre avec. Morceaux de barbaques raboutés, a fini au fond d’une cale à charbonner. Parfois aussi, plusieurs fantômes dans le crâne. Un bruit détale sur la droite. Tu t’es toujours cru malin, c’est ton problème, ton erreur. Ton cœur je vais le bouffer, tes yeux les gober avant que les chiens t’arrachent la peau du ventre et que les gabians te récurent la carcasse. S’en foutent les bestioles de ton sale dedans de toi. Depuis si longtemps, on t’a pas parlé, juste écouter te suffit, te comble, assis là avec ton verre, dans la fumée de la vie du bar. Mais les debouts à nous pister, à nous visiter dans nos rêves pour faire un peu le ménage dedans nos têtes. Alors, avec ma vengeance, on s’est réchauffé l’un l’autre dedans moi, tout contre mon cœur. Vous étiez où quand il fallait lutter contre ? Cette balle dans la bouche de sa fille puis dans le cerveau de sa fille, elle l’a touchée il aussi.
ou plutôt vers libre avec ce blanc comme un temps1 entre chaque phrase qui casse le rythme :
Il avale d’un seul coup ou déchiquette ses proies par la violence des mouvements de sa face et de ses mâchoires.
Avec toutes ces tristesses qu’il trimballe, il pleure beaucoup l’œil du poisson des noyés.
Boule de sombre à peser dedans.
Son visage à elle comme dévoré par le sombre.
Juste une forme à tenir à distance dans le dedans.
Vivre avec.
Morceaux de barbaques raboutés, a fini au fond d’une cale à charbonner.
Parfois aussi, plusieurs fantômes dans le crâne.
Un bruit détale sur la droite.
Tu t’es toujours cru malin, c’est ton problème, ton erreur.
Ton cœur je vais le bouffer, tes yeux les gober avant que les chiens t’arrachent la peau du ventre et que les gabians te récurent la carcasse.
S’en foutent les bestioles de ton sale dedans de toi.
Depuis si longtemps, on t’a pas parlé, juste écouter te suffit, te comble, assis là avec ton verre, dans la fumée de la vie du bar.
Mais les debouts à nous pister, à nous visiter dans nos rêves pour faire un peu le ménage dedans nos têtes.
Alors, avec ma vengeance, on s’est réchauffé l’un l’autre dedans moi, tout contre mon cœur.
Vous étiez où quand il fallait lutter contre ?
Cette balle dans la bouche de sa fille puis dans le cerveau de sa fille, elle l’a touchée il aussi.
— Principe du tri entre phrases, plutôt le contenant que le contenu. En reste encore 13, puis comme dans ces émissions où les candidats sont éliminés de façon impitoyable, accélérer et tomber à 5 puis vite à 1. Restera à intégrer tout ça dans le PDF.
— Avant mise en ligne, relire le résumé de la consigne sur le site et réaliser qu’en fait, ta phrase choisie, elle dérange pas trop ton écriture. Elle en résume les intentions. Se sentir désolé.
1 « Le blanc : plutôt du temps que de l’espace. » Claude Royet-Journoud La poésie entière préposition page 10
Intéressante réflexion et… dissection. Ton poème en prose a de la matière, j’aime beaucoup.
Je préfère la version toute tassée que la version aérée, parce que ça sonne tassé. C’est teigneux, c’est râblé. Alors ça ne peut pas aller à la ligne ni sauter des lignes, ça n’aurait pas de sens. Et oui cette phrase que tu choisis ressort particulièrement dans le petit bloc que tu présentes à la fin, mais pourquoi. Et oui « dedans » plutôt que « dans » pourquoi ? La joie du bancal, dedans ça grince un peu, c’est mal foutu, c’est rustique, c’est archaïque, la gourmandise enfantine des dentales, et dedans c’est en mouvement, ça pénètre, ce n’est pas statique. Peut être que ça compte.
Merci pour le temps pris pour lecture et commentaires. Permettent de voir plus clair. Très touché. Ils comptent ! Le bloc évidement. Un incontournable des Ateliers.