Note préambule : Pas certain d’avoir répondu à la consigne (certain du contraire même). Le récit est un aimant et il m’a été difficile de ne pas y revenir. Plutôt que de lutter, j’ai laissé aller. Tant pis pour la consigne. En cause, une phrase mal choisie ? Un esprit trop porté sur la narration ? Il y a sûrement de ça et d’autres choses. La phrase, donc, « Laissant la mer derrière lui » est la dernière de mon #L1, du « Quelqu’un arrive quelque part », promu dans mon très aléatoire et très provisoire pdf au rang de 2ème chapitre. J’ai laissé la consigne un peu derrière moi. J’y reviendrai peut-être (au texte, pas à la consigne).
Laissant la mer derrière lui. Laissant. Une façon d’abandonner en rendant l’objet inerte, incapable de suivre, immobile. Un abandon en lassitude, une rupture amoureuse, une page qu’on tourne pour repartir, un voyage qu’on entreprend sans vouloir s’encombrer de bagages.
Laisse-t-on la mer ? Laisse-t-on un monde derrière soi comme on abandonne un vélo, de vieilles chaussures ou, même, un souvenir devenu pesant ? L’eau, bien sûr, reste à son endroit, en bordure des quais des ports. L’eau reste là, bien vivante avec ses vagues pulsatives et ses accès de colères, au coeur desquelles, parmi les plus rageuses, elle se permettra parfois de lécher quelques bandes de terre dans un déluge tsunamiesque. L’eau reste là, en bordure des rêves d’un monde d’en-dessous habité par tous types d’espoirs, des plus sages aux plus fous. Mais la mer ? Personne ne laisse la mer, surtout pas un marin. La mer l’accompagne comme si tous les cellules de son corps étaient tatouées, comme si toutes ses pensées portaient cette marque. Vivant à l’abri dans tout cet être qu’une simple odeur d’iode suffit à réveiller, qu’un souffle de brise effleurant le visage permet de raviver. Un marin ne laisse pas la mer derrière lui, tout au plus la met-il entre parenthèses. Mais lui, il le fait. Il laisse la mer derrière lui.
Peut-être n’est-il pas marin, en fait ? Peut-être n’est-il pas cette personne que l’apparence et l’allure désignent ? Peut-être n’est-il personne ? Peut-être n’est-il personne à cet instant précis ?
Parce que personne n’ignore qu’en laissant la mer derrière soi, on est appelé à la retrouver. Qu’en marchant droit devant soi, on retombera forcément dessus. Qu’en restant immobile, il suffit de se retourner pour l’avoir devant. Ou alors, en mettant en oeuvre toute une stratégie d’évitement. Marcher en rond, par exemple. Apprendre à voler la tête en l’air, devenir aveugle, mourir. Mais lui, il n’est pas nourri par ce désir vengeur, par cette animosité latente. Il n’est juste personne à ce moment. Personne qui puisse ne pas vouloir retrouver la mer.
Laissant la mer derrière lui, il avance vers la ville. Empruntant la même direction qui l’a conduit jusqu’au quai de ce port, animé par le même désir depuis qu’il a décidé de partir. La mer possède cette particularité qu’on y avance. On ne recule pas sur l’eau. Ou alors très temporairement, dans une manœuvre pour disposer un bateau à quai. Ou alors quand un coup de vent mauvais gonfle les voiles à l’envers. Ou quand on s’essaie à pratiquer du dos crawlé, ou de l’aviron. L’eau, de façon générale, est un terrain qui ne connaît que l’avancée, guidée, pour les engins aéro-propulsés, par un autre élément qu’est l’air. Il en faut bien deux, d’éléments, pour conjurer le réflexe très humain de vouloir, un jour, revenir en arrière. Il faut bien deux forces telluriques aussi puissantes pour contenir l’envie d’abandon qui anime parfois le marin au coeur des batailles navales qu’il livre avec lui-même, de cette perte du désir d’aller devant soi à la conquête de ses rêves.
Laissant la mer derrière lui. Cinq mots. Un verbe au participe présent, un article défini, un substantif, une préposition et un pronom personnel. De quoi fait le quatre heures d’un grammairien. De quoi faire, tout autant, le malheur d’un marin. De quoi faire, surtout, le point d’un départ, ou plutôt l’acte de naissance, de quelqu’un qui n’est personne.
De quelqu’un qui arrive quelque part.
Moi, je crois que tu as très bien répondu à la consigne. Interroger la phrase choisie, la retourner dans tous ses sens possibles, faire avancer le texte en testant sa plausibilité. Et, en plus, une très belle définition de ton livre ! Merci pour cette avancée !
Merci Helena. Comme tu le disais toi même, le doute nous empêche parfois de prendre du recul sur ce qu’on écrit. Pour l’occasion, il nourrit mon insatisfaction. Merci d’avoir pris un peu de temps.
J’ai parcouru ton texte comme si je volais
je l’ai ressenti comme une accumulation d’images fortes, images qui me parlent à moi en tout cas. Oui tout me parle dans cette quête du « tourner le dos » et dans ce rapport au front de mer, à l’espoir, à la quête des rêves…
Merci de ton retour. Heureux de voir que ça fonctionne car j’en doutais.
Moi je pense au contraire que tu t’es emparé de la consigne pour faire de cette phrase un bel écho narratif et réflexif, et ça fonctionne très bien !
Merci Camille. Lire la consigne, s’en emparer, écrire, relire la consigne, se dire que non, on n’y est pas, douter, se dire tant pis… Et revenir à notre première impression. « Marcher en rond… » Merci de ton temps.