Il ne comprend pas ce qu’il entend est la phrase qui ouvre un chapitre d’A.
Elle s’applique au personnage de Michel (appellation troublante que ce glissement du père au personnage, et doublement : je n’appelais pas mon père par son prénom, et le désigner ainsi me fait parler de lui à la 3e personne, personne de l’absence, dans le mouvement même où je tente de le faire revenir ; faire de lui un personnage, c’est entrer dans une fiction : aporie nécessaire, faux problème ? ). Phrase qui s’applique également à moi, toutes les fois où je suis dans une situation de surdité aux propos que l’on me tient. Pour Michel, c’est lorsqu’il entend pour la première fois de sa vie l’appel à la prière, lorsqu’il débarque en Algérie. J’ai vécu la même expérience en débarquant à Salé, ville voisine de Rabat, au Maroc, ou bien à Tokyo, ou bien encore au Mexique. Situation d’étrangeté absolue, où les signes s’effacent (particulièrement pour l’arabe et le japonais) pour ne laisser qu’un vide dans lequel on se mire, éperdu de sens.
Mais la situation d’analphabète, si elle est évidente lorsqu’on se frotte à une langue inconnue (que l’on ne peut comprendre), se répète aussi dans sa propre langue. Je ne comprend pas ce que j’ entends parce que je ne veux pas comprendre : déni, bien sûr. Déni que j’évoque dans river le clou du père. Opposer mon silence, le point son, c’était lui river le clou : je le comprends, douloureusement, maintenant.
Surgit soudain ce qui dans mon projet rythme, scande la phrase : la barre verticale | évoquée dans le poinçon 47 (9 août 21). Deux mois jour pour jour, j’y reviens. J’écrivais ceci :
L’usage de la barre verticale : le couperet symbolique, les tranches de savoir (ah, Henri Michaux, Face aux verrous). La barre ponctue, hache, coupe les essors lyriques, rappelle le S barré de Lacan, mais je le garde comme une coupe musicale délimitant des mesures mélodiques, autonomes et interdépendantes, traces musicales de dépôts. Elle me sert à évoquer le mi-dit de la guerre (mi-dit car inconnue de moi, silencieuse sinon les traces qui m’ont traversé cinquante ans (sic)). J’en dois rendre compte.
J’avais ajouté, en marge des feuillets d’A. :
Similitude avec la barre de mesure musicale. Cette barre introduit une pause, un silence, à la manière d’un point, mais sans sa rondeur. Délimitations d’un dépôt : barre à droite et à gauche, blanc typographique au-dessus et en-dessous. Barre qui tranche en segments qui sont autant de mi-dits.
Oblique et proliférante chez Arno Schmidt (La République des savants, On a marché sur la Lande).
Dits à moitié, donc. Coups de coupes photographiques aussi. Suites d’instantanés, transcription typographique du passé composé de l’Etranger. Pourquoi pas ?
Si je résume, la barre est couperet symbolique qui obère les essors, qui délimite le phrasé musical/la phrase, elle est dispositif du mi-dit de la guerre et de l’expérience de mon père, elle est oubli de la rondeur du point au profit du trait, elle est silence, elle est ce qui permet le dépôt de sens avant et après.
J’ajoute aujourd’hui 9 octobre : elle est poinçon, principe obérateur.