Mais elle, a t-elle fait le bon choix ?
Pourquoi avoir écrit deux fois le mot – elle – dans cette phrase ? Un seul ne suffisait-il pas ? Ai-je voulu, par-là, signaler le personnage bien distinctement, ai-je eu peur que l’on ne comprenne pas bien de qui on parle. Ce besoin de mettre en avant le – mais elle, a t’-elle– montre deux choses. Ce mot répété souligne tout d’abord l’importance de ce – elle. Il n’est pas possible de se tromper, de ne pas savoir de qui on parle, c’est elle dont on parle, c’est elle qui est questionné, c’est d’elle dont il s’agit. On peut alors s’interroger sur, qui, est-ce elle. Est-ce l’auteure qui parle d’elle-même ? Est-ce l’auteure qui s’imagine une autre qu’elle-même ou elle-même mais pas complètement, une elle-même fantasmée, rêvée ? A qui l’auteure pense-t-elle lorsqu’elle écrit- elle ?– Quelle partie d’elle-même convoque t’-elle ? Là, est peut-être la bonne question. D’ailleurs, pourquoi n’ai-je pas déjà commencé par mettre de prénom à ce – elle ? Un prénom permettrait d’enlever l’ambiguïté, le lecteur ou la lectrice ne se poserait pas la question de qui est-ce elle – Un prénom serait certainement une bonne chose. Et pourtant, le elle aide à garder flou la distance entre le personnage et celle qui écrit, en l’occurrence moi-même. Mais quelle partie de moi-même écrit cette phrase – A qui je pense, comment je la pense, qui ai-je envie qu’elle soit ? Le elle me permet peut-être de ne pas dire je. Un je trop personnel, trop égocentrique, un je qui m’empêcherait d’écrire, me collerait à ma réalité, ma vérité mais qui m’enfermerait dans une pensée, une façon de raconter, m’enlèverait peut-être tout envolée, tout imagination. Est-ce que le elle m’aide à garder une distance, est-ce une amie à qui je m’adresse, est-ce pour elle que j’écris ces lignes. Peut-être que tout simplement le elle m’aide à me séparer de moi-même ou bien au contraire me permet de plonger complètement en moi-même et de naviguer entre le réel et la fiction, en toute liberté. A quel moment écrit-on le vrai, le réel, à quel endroit nous éloignons-nous de ce réel pour y mêler de la fiction ? Il s’agit peut-être là de sortir du réel mais avec les ingrédients du réel. De garder une ambiguïté consciente ou inconsciente. Peut-être que je l’aime cette elle – Peut-être que c’est une autre moi qui me parle, quelqu’un que j’entends et qui pousse mes doigts à écrire. Peut-être suis-je manipulée par ce elle qui m’emmène, qui s’empare de mon corps et de mon esprit et qui inscrit dans mes mots, son existence. Est-ce moi qui la rêve ou elle qui m’utilise ? Veut-t-elle à travers ce mot répété deux fois prendre le contrôle et montrer qui décide, dire qu’elle est la véritable « écrivante ». Il y a également ce –mais devant le-elle. Ce mais qui s’impose en début de phrase comme si la phrase précédente que l’on ne connait pas permettrait à celle-ci de contredire ce qui a été écrit. Comme un arrêt dans le texte, un mais – qui se positionne clairement, se met en travers du chemin comme pour dire « Non ou Stop, regardez, écoutez ce que j’ai à vous dire, à vous montrer : elle est là ! C’est elle que je veux que l’on voie, que l’on entende, pour qui l’on doit être suspendu ». Ce – mais- tonitruant, sûr de lui, qui n’a pas de doute, pas d’hésitation, défenseur de ce – elle – à venir, lui permettant de se poser et d’exister. Si nous étions au théâtre, nous pourrions imaginer un homme et une femme ou deux femmes. Si l’on s’en tient juste au tout début de la phrase, à savoir le – mais elle -, la femme pourrait être dans une situation de soumission comme à son propre procès, ou dans un collectif, témoin d’un évènement ou personnage dans un évènement et l’autre la défendrait, ou l’accuserait, griffes dehors ou doigt tendu. Oui, peut-être que l’on pourrait faire cela. Ou bien, la femme serait en train d’agoniser et l’autre, homme ou femme, qui la soutiendrait, supplierait pour que les autres écoutent, plaiderait pour qu’on les regarde, oui peut-être ceci. Ce – Mais elle – deviendrait grandiloquent, magnifique, serait acclamé et souleverait la foule, transportée par l’élan de ces deux mots, jetés, puissamment. Ou bien au contraire, murmurée d’une voix douce, démunie, sans doute fragile, comme une invitation à avoir pitié, une indulgence, une compréhension, envers cette femme que l’on nommerait en disant « mais elle ». Quelle intonation ai-je voulu donner dans ce – mais elle – ? Suis-je en phase et en empathie avec mon personnage ou bien quelque mépris en moi me la fait regarder de haut, comme une petite chose, dont il faudrait faire arracher des larmes à ceux qui la rencontrent. Quel ton, quelle sonorité ai-je voulu transcrire dans ce début de phrase, comment ai-je voulu que le lecteur ou la lectrice la lise ? Avançons – « a-t-elle fait le bon choix ? ». Il y a plusieurs questions qui se posent là, la première – a-t-elle fait le bon choix ? – On peut s’interroger sur le faire le bon choix, est ce que l’on fait, est ce que le verbe faire est le plus approprié ? Ne pourrait-on pas dire « a-t-elle choisi « plus direct, plus simple. Pourquoi avoir ajouté ce verbe faire comme quelque chose qui est à accomplir, presqu’un geste manuel, artisanal. Faire, entreprendre, décider de. Dans cette phrase, l’acte de faire est érigé en question « a t’-elle fait le bon choix ? ». Est-ce que la question est dans le – avoir fait ou ne pas avoir fait ? Et qui a fait ? Est-ce le personnage, est-ce l’auteure ? Est-ce que le mot faire ne pourrait pas être remplacé par le mot – décider ou le verbe savoir. Mais dans les deux cas cités, on supposerait qu’elle, le personnage est certain d’elle-même et qu’il n’y a, dès lors, pas d’hésitation, pas de question à se poser. Elle a décidé, elle a su, comme une évidence absolue. Mais ces mots – avoir fait – démontre une interrogation, quelque chose qui se fait mais qui pourrait se défaire – On peut donc imaginer que le personnage pourrait, par la suite, changer d’avis, faire marche arrière, prendre une autre direction. Ai-je voulu rester libre pour le reste de l’histoire, avancer pas à pas et me permettre une sortie de secours ? Mais cette interrogation m’intéresse moins que celle du « bon choix » – En quoi un choix est-il bon ou mauvais ? Comment peut-on avoir la certitude d’avoir bien choisi, bien agi ? Tout ne dépend-il pas de quel angle, de quel point de vue, on se place. Tout ne dépend-il pas de la suite de l’histoire que l’on ne connait pas pour l’instant. A quel moment sait-on que l’on a pris la bonne décision ou que l’on a eu tort ? Est-ce que j’aime à laisser penser que le personnage s’engouffre dans un chemin tortueux et que mille aventures peuvent encore advenir ? Toujours la recherche de la liberté, et je profite de ce mot liberté pour évoquer le dernier mot de la phrase, à savoir le mot « choix ». Un mot qui me passionne, me questionne, est central dans tout mon être. Avons-nous réellement le choix ? Sommes-nous porteurs et décideurs de choix – Peut-on réellement affirmer que c’est notre choix, que nous sommes libres d’avoir pris telle ou telle décision, et que celle-ci fut prise en pleine conscience. Y a t’il vraiment le choix dans les choix à prendre ou bien ne sommes-nous pas contraints à prendre un choix dans le non-choix ? Le personnage a-t-elle réellement le choix de sa situation et est-elle en mesure de peser le pour et le contre ou bien est-elle mue par quelque chose à l’intérieur d’elle-même ou par l’environnement extérieur ou seulement par des impressions, des mécaniques de pensées, d’émotions et de pulsions qui lui feraient croire qu’elle est maitresse de ce qu’elle fait. Et qui fait ce choix, le personnage ou l’auteure ? Si c’est l’auteure, le personnage n’a donc pas de choix à faire, on le fait pour elle. Mais l’auteure elle-même, a-t-elle le choix ? N’est-elle pas aussi prisonnière de ce qu’elle écrit ou de ce qu’elle imagine faire passer à travers son personnage. Ai-je le choix en décidant d’écrire « Mais elle, a-t-elle fait le bon choix ? ». Ai-je le choix en écrivant ? Ai-je le choix de mon histoire ou ne suis-je que l’objet de mon personnage ? Qui parle et qui parle de qui ? La phrase, elle-même, comprend une totale interrogation du début jusqu’à la fin. Pourquoi le mais, pourquoi le elle, pourquoi le faire, pourquoi le bon, pourquoi le choix,pourquoi n’avoir pas écrit tout simplement une autre phrase ? Mais si je le savais, ce texte n’aurait pas lieu d’exister !
comme quoi l’analyse d’une phrase peut nous emmener vers des questions philosophiques, comme celle du choix. je pense que dans la vie, il n’y a pas de choix. on croit que. mais non. ou alors comme tu dis, « un choix dans le non-choix ». par contre en écrivant, on choisit les mots, on doute, on se pose des questions et puis on choisit, comme tu le détailles parfaitement. mais je m’interroge : quand j’ai fait l’exercice, j’ai gardé la phrase du premier jet comme étant la meilleure. je vois que tu as fait pareil. alors, est-ce-que nos deux phrases étaient déjà écrites, avant que nous ne les écrivions ? (j’ai choisi le tutoiement sans réfléchir, tu me diras que ça va pour toi ?)
Merci pour la lecture, le regard et l’interrogation.
Pas de souci pour le tutoiement.
A bientôt, bon dimanche.