C’est du #L11 à la manière de Jacques de Turenne, mais c’est aussi du #P11 et la proposition Artaud. Bref, c’est surtout un bout de parler-clown pour le manuscrit dans lequel j’aimerais m’engouffrer (dans le bout, je suis déjà dans les abysses du manuscrit), même si je suis taraudée par la pensée « qui va avoir le cran de m’y suivre, dans le gouffre du parler-clown sans l’audio qui va avec ? ». Mais je n’ai pas le temps de m’appesantir.
Non pas la mer, pas la mer dedans, pas la place de la mer dedans, dedans on se cogne à tous le mur invisible tout autour, et plus on tourne plus partout le mur invisible et plus on se cogne le corps rapetissé, oui, mais toujours trop grand pour ce dedans, ni debout ni assis ni couché, et ça dure une éternité et la mer lèche les parois pour qu’elles fondent pour rentrer et prendre toute la place et le manque d’air déjà, on ne sait comment on respire là-dedans, on fait le geste de respirer et on est collé tout autour et après, l’air qui sort on doit se faire petit pour qu’il puisse tenir là-dedans, des mois, des années qu’on respire l’air qu’on a déjà respiré et respiré et non pas la buée, il n’y en a pas même si on voudrait, on voudrait que ça bouche tout, ne plus voir tout autour la mer qui guette et le ciel qui ne s’en mêle pas, on voudrait la buée comme un drap fin et on n’en parlerait plus de la mer, on serait bien dans le blanc, nez à nez avec un mur qui aurait l’air vrai, non pas la vue sur la mer qui attend, toute calme, elle fait, comme si on allait la croire, elle se tapie, bleu à perte de vue, à peine elle hausse de-ci de-là un petit sourcil blanc, pour qu’on s’endorme et alors elle entrera dedans et déjà on ne sait plus se tourner, alors ce sera terrible, et c’est la nuit encore non pas les étoiles, les étoiles elles restent là où elles sont bien, elles n’ont pas de double sur la mer, elles sont loin comme quelque chose qu’on a oublié mais quoi, on ne sait même plus qu’on a oublié de toutes façons, non pas le temps d’y penser, de s’assoir pour y penser, ni assis ni debout ni couché entre les parois tout autour, on ne mange rien, si on mangeait on ne sait pas où on mettrait le poids, non pas le temps de rien, toujours la mer qu’il faut avoir à l’œil ou ça y est elle rentre et alors, et alors, le mur invisible on se cogne contre, et la mer aussi elle cogne et on a des bleus, elle cogne si fort contre pour faire tomber l’invisibilité et elle secoue les murs, parce que le tapis c’était pour duper, pour qu’on s’endorme avec la berceuse des vagues et alors elle entre par le trou de l’oreille et le chemin jusqu’au dedans et après c’est terrible, non pas la place, plus la place de rien, mais là elle cogne et secoue et on entend rien derrière les parois transparentes mais elle hurle c’est sûr, elle hurle des noms, elle veut qu’on lui laisse tout, la place toute la place, ça pèse trop lourd, elle hurle assez assez assez, sûrement, même si le corps est rapetissé, ni debout ni assis ni couché, elle n’en veut plus sur son dos, non pas son dos, ni ses bras, parce que ce n’est pas une personne, mais sur elle, elle ne veut plus être autour des parois et lécher, et bercer et cogner, elle veut que rien ne l’arrête et elle recouvre tout…
J’aime vraiment beaucoup… Et la mer qui recherche une once de souffle dans la bouche qui la lit à voix haute, la relit la fait tourner à l’intérieur… Et remonte à la surface de soi
Merci Emmanuelle
Merci de ton essai immédiat de cette forme qui me fait encore peur alors que je l’écris depuis… l’Atelier Villes ? La ponctuation je n’arrive pas à y penser, et oui, c’est toi qui as raison : qu’est-ce qu’on en ferait dans un texte de terreur asphyxiante ?
Texte idéal pour un rêve de longue qui me reste en tête : une sortie de route, la chute dans le ravin, et au moment de plonger dans la mer : non, je reste en suspension, juste au-dessus, et la voiture dans laquelle je suis se met à tourner sur elle-même, juste au-dessus de l’eau, très bleue. Et alors non pas la mer, pas la mer dedans… Merci d’écrire dans mon rêve.
Le mot date a dû se faire la malle dans ta phrase. Cette collusion avec ton rêve, elle apporte beaucoup, beaucoup de possible quand je redoute l’enfermement du parler-clown, sa possible complaisance. Tu as lu le Syndrome du Scaphandrier de Serge Brussolo ?
Cela me fait penser à Beckett : « suffisamment vaste pour chercher en vain, suffisamment étroit pour que toute fuite soit vaine », aux exercices de danse contemporaine aussi : imaginez que vous êtes dans l’eau, imaginez que votre corps est plein d’une fine couche de sable qui se déplace quand vous bougez et suit la gravité…
Bonnes pistes, merci Marion, puisque je veux continuer, insister avec ce texte ! Le corps, pour l’instant trop peu est dit de son dehors, à part qu’il se cogne. Il y a plus à faire. Me voilà en train ! (Je lis le tome 7 du soldat Chamane de Hobb : La danse de la terreur)
Haha excellente lecture je l’ai lu moins avec un regard littéraire qu’avec un appétit candide 🙂 j’ai été plutôt bluffée par les personnages des ‘aventuriers de la mer et de l’assassin royal dont le fou, magnifique dans son ambiguïté