non pas le genre d’avenue longeant de beaux bâtiments avec balcons corniches décors de prestige et charmants jardinets nichés au pied de l’escalier qui conduit à la porte d’entrée, avenue bordée d’arbres aux ramures courtisées par une foule d’insectes au moment de l’intéressante floraison – début mai en principe – et si foisonnante qu’elle dissipe un parfum tenace jusqu’au carrefour et même plus loin — détail qu’on n’oublie pas, qui s’inscrit profond — et aussi vers les appartements aux fenêtres largement ouvertes à cette époque de l’année où l’air se réchauffe, où l’envie de se dévêtir marcher courir s’empare des corps – une espèce de fièvre –, pouvant néanmoins se faire ravager en une seule averse violente, corolles écrasées branches brisées frondaisons bouleversées, généralement équipée de trottoirs bien aménagés propices à la marche en chaussures cirées, voire à talons, et aussi au roulement des voitures d’enfant
non pas le périphérique à voies multiples qui s’extirpe de la ville aussi vite que possible, se déployant de l’intérieur des zones bâties à forte densité de population vers l’extérieur (friches industrielles, bidonvilles, campagne) et souligné de barrières métalliques cintrées en fonction des incurvations du ruban de bitume pour absorber les chocs et protéger les véhicules d’éventuelles sorties de route, toutes voies investies par un trafic permanent et intense au-dessus duquel est installé un nuage perpétuel constitué de poussières, matières sableuses parfois colorées transportées par les vents et aussi particules polluantes provenant des moteurs à combustion, le tout en suspension constituant une atmosphère de grisaille imprégnant peau cheveux vêtements capable d’obstruer les voies respiratoires et de déclencher des maladies assez graves, ainsi doubles ou triples-voies encombrées de véhicules de toutes tailles et de toutes puissances se ruant vitres fermées vers les confins des territoires construits et courant après le temps, le temps, le temps – durée de parcours indiquée sur écran de contrôle et heure d’arrivée régulièrement annoncée par une voix automatisée –, sans oublier la fureur sonore peu à peu ingurgitée par le paysage, noyée dans l’immensité du ciel bientôt déployé comme un linceul au-dessus de la terre et de l’autoroute, nous rappelant à notre précarité et à notre destin
non pas la ruelle pavée, impasse, venelle qui s’embranche sur l’une des rues principales du bourg et se perd entre les façades anciennes ruinées par le climat sévissant l’hiver, lézardées, moussues, débouchant sur une placette improbable ou grimpant subitement à l’assaut de la pente pour s’égarer au milieu d’une plateforme herbeuse et mal entretenue proposant une vue panoramique des vieilles toitures ou dévoilant un décor montagneux à l’arrière
non pas l’allée de promenade large et lisse en sable clair qui entraîne à travers le parc avec lenteur et au gré de ses sinuosités et jusque derrière les bosquets de chênes blancs et de hêtres avec la possibilité d’y faire étape en profitant du banc disposé dans leur ombre et puis jusqu’au petit étang ourlé de saules – pas si petit que ça — dont les rives sont propices à la méditation et à l’observation des oiseaux de différentes espèces installées en bonne harmonie depuis plusieurs décennies avec îlots touffus aménagés pour la reproduction, allée où le pied ne bute jamais ni ne racle car ratissée quasi quotidiennement par les jardiniers en charge du parc ouvert au public, dénuée d’obstacles, par tronçons rehaussée de gros blocs de pierre alignés en bordure, pierre brute ou taillée offrant une surface plane où faire une pause avant de gagner l’espace des fontaines, y apprécier le bruit apaisant de l’eau et relever les dégradés de vert des épaisses frondaisons à l’arrière-plan
non pas le chemin de randonnée signalé au départ du village par une balise plantée à côté de la chapelle ou derrière le cimetière, en bois forcément, indiquant destinations et durées moyennes de parcours, peu de pierraille au début, plutôt de l’herbe — bande au centre et bas-côtés plus fournis rendant évident le passage fréquent de véhicules tout terrain, ceux des forestiers et des chasseurs –, d’une largeur suffisante pour marcher à deux de front et entretenir une conversation, commentaires autour du paysage ou tout autre sujet d’ordre familial ou intime, finalement davantage piste forestière que chemin de randonnée puisque accessible à certains engins à moteur, de dénivelé modeste et ne présentant aucun danger ni risque de mauvaise rencontre, par conséquent accessible au plus grand nombre, de peu d’intérêt pour le risque-tout, l’aventurier sans famille, le baroudeur pressé d’en découdre
non pas le genre de chemin qui garantit une progression rapide et permet d’atteindre son but dans le délai prévu et sans trop de fatigue, sans se poser de questions, sans être interrompu par un événement dérangeant comme une chute d’arbre ou de pierres, un éboulement de terrain, un cours d’eau soudainement grossi, une chute de neige inattendue, non pas le chemin poursuivi par la plupart des gens du début jusqu’à la fin – de la naissance à l’extinction –, alors cette quantité de courage qu’il faut pour s’en arracher, fuir la convention et la facilité, en bref se détourner des sentiers battus pour se propulser sur une route plus aride plus sauvage sans aucune garantie, plus de balises sinon repères géographiques ou stellaires, plus d’abris sinon cabane délabrée, aplomb de rocher ou voûte resserrée des pins, ne compter que sur soi et même parfois prier pour se glisser au plus juste dans le décor, participer à l’ordre naturel des choses rien qu’avec ses forces et son sens de l’orientation, observer chaque élément qui compose le présent, forer le mur qui sépare du vrai monde
Codicille : La sensation que le champ s'est ouvert d'un coup. Alors s'en retourner au commencement, écrire en négatif, écrire tout ce qui n'est pas, définir à l'envers du décor en faisant le vide autour... vraiment, une magnifique proposition d'écriture à ce stade de la partie. Et quel enrichissement ! je n'en reviens toujours pas... J'ai choisi de rester avec mon Voyageur qui suit sa route encore indéfinie, d'une nature sauvage ça oui, pour le reste je ne sais pas tout encore... mais je peux écrire ce que je veux pas, "ce que ça n'est pas"...
Même ce qui n’est pas, dans tes textes, est très prenant. J’aime beaucoup les sensations sur ces chemins! Merci Françoise!
c’est touchant ce que tu me dis… ben oui, ça me touche !
merci pour ta lecture en tout cas
J’ai voulu rester dans la poétique du texte en cours, mais il faut faire vite et je n’ai pas tellement de temps en ce moment… j’ai hâte ensuite de me poser pour reprendre tout cela et en faire quelque chose
Merci beaucoup Michaël
Oui, inattendues ces ouvertures par la négativité – ici, un vrai foisonnement de détails pour le dire !
c’est l’idée finalement de passer par mille détails pour définir l’expérience d’écrire… et de vivre !
merci pour ton passage
Beau, puissant… et on en vient presque à regretter que le Voyageur n’emprunte pas, ne serait-ce que brièvement, un de ces chemins foisonnants
Va savoir ce qui se passera…
et ce chemin qu’il va prendre, qu’il a déjà pris en partie puisqu’on a déjà cheminé avec lui, est peut être encore plus foisonnant que ceux décrits là
Je pense que ce 11 pourra se placer en tête de récit ou presque, il va falloir revenir sur le PDF et faire avancer le schmilb…
Tellement merci Muriel pour ta fidélité
Quelle exploration exigeante pour parvenir au « vrai monde » !
va savoir où est la vérité ? la vérité des fous ? la vérité des personnages…
rêve ou réalité ?
tellement merci douce H.