Non pas, ne rêve pas, tu n’es pas Maryse Condé capable de tenir ensemble l’esclave, le colonisé déraciné, le créole perdu, le retour vers l’Afrique, le noir d’Amérique, le noir des Caraïbes, l’Afro-descendant de tous les continents, le combattant de la mémoire, celui de la cause noire, le décolonisé, l’assimilé heureux, le faux blanc, le blanc repentant, tu n’es pas tout cela, tu n’es rien du tout. Il faut être Maryse Condé pour raconter l’histoire du roi Béhanzin et de sa descendance, l’extraordinaire complexité créée par l’esclavagisme et la colonisation.
Raconte-moi l’histoire du roi Béhanzin si tu la connais
Je te préviens, je ne raconte pas aussi bien qu’elle, et puis je découvre et je n’ai jamais vécu ses contradictions dans ma chair, je veux juste les remettre au jour. Allons-y !Béhanzin était roi du Dahomey, voulait garder son pays libre et continuer à guerroyer et commercer avec les Européens. Il vendait de l’huile de palme, mais sans doute plus autant d’esclaves que ses ancêtres puisque l’esclavage était officiellement aboli. Lorsqu’il se rendit aux Français en 1892 (c’est un Franco-sénégalais [un afro-descendant] qui reçut sa reddition), ils l’exilèrent en Martinique avec quatre de ses épouses, un de ses fils, trois de ses filles et un traducteur. La population ne l’accueillit pas bien ou plutôt comme un bête curieuse encore entourée d’esclaves. Il ne se plut pas en Martinique dont il ne parlait pas la langue, dont le climat ne lui convenait pas et où la Pelée l’effrayait. Son fils commença au contraire de brillantes études chez les frères de Ploërmel. Demandant sans cesse de retourner au pays, la France ne répondit pas à ses demandes et l’exila en Algérie, à Blida où il mourut en 1906, le 10 décembre 1906. Au Dahomey, devenu Bénin, on honore sa mémoire. Il symbolise la résistance face au colon et le refus de laisser sa patrie aux mains des étrangers. « Le requin se rend, mais les fils du requin ne trahiront pas. » Aurait-il déclaré.
Et son fils Ouanilo, qu’est-il devenu ?
Ouanilo qui n’avait que 7 ans lorsqu’il accompagna son père en exil est surnommé le prince courageux. Il sollicité d’abord son entrée à Saint-Cyr ce que les autorités refusèrent, puis devint avocat et enfin chef du contentieux des chemins de fer du midi. Il s’enrôla lors de la Première Guerre mondiale, épousa une Française d’une grande famille bordelaise, fille du consul d’Argentine à Bordeaux et obtint en 1928 de la France qu’elle renvoie les cendres de son père à Abomey. Il mourut à Dakar sur le chemin du retour en France.Sa femme obtint le retour de ses restes à Bordeaux. 78 ans plus tard, en 2006, la France accepta son retour au Bénin sur la terre de ses ancêtres.
Une histoire qui dure !
Une histoire qui dure où les haines et les peurs sont tenaces; une histoire violente où la violence est à chaque pas. « Bec en Zinc – Béhanzin » avait fait disparaître son frère pour accéder au trône, pratiquait l’esclavage, les sacrifices humains, commerçait les armes avec les puissances coloniales concurrente de la France, adorait les vins français qui remplissaient sa cave comme les cranes humains décoraient son palais. Tirailleurs sénégalais et Légion étrangère contre amazones. Prises de guerre et terreurs persistantes : le trône du roi Béhanzin fait partie des collections du musée du quai Branly, sa statue trône à Abomey. Il faut le talent de Maryse Condé et de ses derniers rois-mages pour raconter cette histoire sans prendre parti. L’histoire du roi Béhanzin n’a pas fini de diviser.