Non pas une mégalopole assourdissante veinée d’anonymats où personne ne se connaît, personne ne se regarde, où l’on se percute plutôt que de se parler, où l’on se supporte plutôt que de se choisir, où l’on n’a pas d’histoire parce qu’on n’a pas le temps, pas l’énergie et pas l’envie de savoir ce qu’il y a eu avant nous. Non pas cette agglomération où on s’agglutine, où la mélasse auditive des déplacements de chacun ressemble à une ruche démesurée où les logements s’entassent telles des alvéoles, mais plus personne ne sait qui est la reine et pourquoi chacun doit faire ce qu’il a à faire. Non pas ce monde où il y a ceux du centre-ville et ceux de la périphérie, ceux de l’intramuros et ceux de la banlieue, où on n’est pas capable d’indiquer un lieu autrement que par le nom qu’on lui a attribué, alors qu’ailleurs on dirait « il habite après chez Dédé, tu sais, l’ancien cordonnier », et tout le monde saurait de qui on parle et reconnaîtrait la maison qu’on désigne.
Non pas une histoire policière, ou du moins pas seulement une enquête comme on en voit à la télé où on suit les gendarmes ou les flics et où on retrouve des preuves, des indices, où on fait des déductions et où à la fin le méchant est le méchant, la victime est la victime, et tout le monde est soulagé que la vie soit si simple et si limpide, où on peut enfin aller se coucher pour dormir sur ses deux oreilles avant de retourner bosser demain, de ces lendemains pleins de ces certitudes qui nous permettent de continuer sans trop se poser de questions, parce que sinon ce serait à devenir dingue.
Non pas l’histoire d’un seul qu’on suivrait tel le héros des odes antiques, parce qu’on a besoin de héros, parce qu’on a besoin de penser que toutes les épreuves qu’on traverse dans une vie nous permettront d’arriver à un certain repos de l’esprit et du corps, et pourtant même quand on suit l’histoire d’un seul on croise tant de personnages et de situations qu’on sait bien au fond qu’il ne peut pas se faire seul, le héros, pas plus que l’homme ordinaire qui a besoin des autres, d’un environnement pour se construire et se raconter.
Non pas une réalité qui serait la même pour tous. Non pas de l’objectivité. Non pas le point de vue au-dessus des personnages, comme un dieu aussi omniscient qu’indifférent, même si l’histoire doit dérouler son fil narratif, mais non pas comme s’il était le seul fil d’une pelote si bien rangée qu’on sait très bien quand arrivera sa fin. Non pas seulement cela, même si ce serait déjà pas mal.
Non pas la dureté du monde comme seule planche de salut, parce qu’on a tous besoin d’espoir, même quand l’histoire commence par une mort soudaine et triste. Non pas une leçon de morale, ni même une leçon, comme il en fleurit tant partout et en tous temps et pourtant il faudra bien quelque chose sur le moral, pour le remonter peut-être, non ?
Codicille :
Non pas le sarcasme qui pourtant émaille ce texte, seulement l’ironie de ceux qui supposent qu’on ne peut jamais vraiment atteindre les idéaux qu’on se fixe. Pour résumer : non pas l’idéal mais la motivation qu’il suscite.