Elle avait cette image, toujours avant de dormir, une sorte de film, aux couleurs passées, comme un enregistrement ancien, dans lequel elle descendait des marches, seule, elle ne savait pas d’où elle venait, elle descendait ces marches en colimaçon, en fer, blanc, et elle arrivait dans un jardin, l’herbe y était folle et verte. Ses rêves en avaient la couleur. Un vert tendre et fort, un vert à l’odeur entêtante. Dans ce rêve, elle descendait les marches une à une, sa main suivait une poutre qui tenait l’escalier. Il n’y avait pas de rampe. Elle descendait lentement mais ne s’agrippait pas, elle descendait lentement et sa main suivait sa trajectoire, elle ne la guidait pas, elle passait lentement sur cette poutre, comme une caresse indolente. Sa descente était légère, volait-elle ? Elle ne sentait pas les marches sous ses pieds nus. Elle ne portait pas de chaussures dans cette vision, qui la hantait, chaque soir. Elle continuait sa descente, elle ne frémissait pas, elle ne ressentait rien, elle n’avait pas froid. Elle n’avait pas chaud non plus. Elle descendait lentement, elle descendait. L’escalier semblait s’étirer sous ses pas. Les marches étaient blanches, sa tenue aussi. Elle portait une robe blanche, une chemise de nuit, une robe blanche et ample et ses pieds étaient nus. Elle descendait les marches lentement, une démarche cérémonieuse, elle ne savait pas ce qui se célébrait. Elle descendait toujours, ne s’arrêtait jamais de descendre. Elle distinguait au fur et à mesure quelques fleurs sauvages qui parsemaient l’herbe, des touches de blanc, de jaune, de parme, des fleurs sans parfum ou alors c’est l’odeur de l’herbe mouillée qui le masquait. Elle descendait toujours, l’herbe à ses pieds était touffue mais le jardin était étroit, étroitement coincé entre ces escaliers qui n’en finissaient pas et des murs en terre grise. Quelque chose semblait l’y attendre, en bas. Le jardin n’était pas vide, il y avait une présence perceptible. Le film s’arrêtait là. Il reprenait chaque nuit, elle creusait les images de ses yeux, elle cherchait à le faire durer plus longtemps, chaque soir, une quête nouvelle, d’abord les mêmes impressions et sensations, qu’elle essayait de tenir plus longtemps, de ralentir, de figer pour avoir le temps d’appréhender chacun des motifs de ces choses mentales, de les mémoriser et d’y déceler un détail qui lui aurait échappé. Elle semblait alors les découvrir pour la première fois.