Adel ne connaissait pas ma sœur, ils ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois, il y a très longtemps, chez mes parents, à l’occasion d’un anniversaire. Je lui parlais peu d’elle à l’époque où nous nous fréquentions, après l’université, mais nous nous étions perdus de vue depuis plusieurs années, j’habitais encore Paris tandis qu’il avait toujours vécu à Marseille avant de rencontrer Madeleine et de venir vivre avec elle à Paris. Il a été étonné que je reprenne contact au moment précis où ma sœur Anna avait disparu. Cela faisait la une de tous les journaux. Une histoire atroce. Anna venait de passer le dimanche chez nos parents. En approchant de chez elle, elle les avait appelés juste avant de rentrer dans son appartement afin de les rassurer comme elle avait l’habitude de le faire à chacune de ses visites dominicales. Mais elle n’était jamais rentrée chez elle. Le lendemain, elle ne s’était pas présentée non plus à son travail. Elle avait disparu. Depuis lors aucune trace d’elle, aucune nouvelle. La police possédait des images de surveillance d’elle marchant à quelques centaines de mètres de son domicile, au moment où elle rentrait chez elle. La police avait mené son enquête, recoupé des informations, questionné des témoins, voisins, amis, et nos parents bien sûr, puis effectué des battues, lancé des appels à témoin, en vain. Impossible de la retrouver. Sa photographie avait été placardée sur toutes les vitrines, sur tous les murs de Marseille et de ses environs. Ma sœur restait introuvable. J’ai appelé Adel pour lui demander de l’aide, je ne pouvais plus rester chez mes parents, la situation était devenue insupportable, oppressante, dans cette maison où j’avais grandi avec ma sœur. Je ne pouvais pas rester une minute de plus. Nous ne parlions que de ma sœur, de sa disparition. Je ne fuyais pas mais j’avais besoin de prendre du recul, faire le point et m’isoler de toute la pression médiatique autour de sa disparition que je ressentais comme une agression. Parvenir à prendre cette distance cela voulait dire s’éloigner de mes parents. C’était terrible pour eux, incompréhensible. Une trahison. J’avais tenté de leur expliquer mon point de vue, mais ils ne comprenaient pas, ne pouvaient pas admettre que je veuille penser à autre chose. Ils me trouvaient égoïste. C’était une forme d’abandon. Ils ne voulaient pas baisser les bras, ils n’imaginaient lâcher prise, abandonner les recherches, ne pas participer à toutes les battues ou disposer des affiches sur tous les murs de la ville, parler à la presse pour donner à ces recherches plus de poids encore,. Une manière d’y croire encore. Elle allait revenir, elle était vivante, sans doute retenue prisonnière dans le sous-sol sombre d’une maison ou la cave humide d’un vieil immeuble. Ces images les terrifiaient mais ils préféraient encore penser à cela plutôt que devoir affronter l’inacceptable annonce de sa mort. Il n’y avait eu aucune demande de rançon, comment aurait-il pu en être autrement, notre famille ne possédait aucun bien, ils n’étaient pas fortunés. Elle finirait pas être retrouvée, ou par s’enfuir, la police allait la libérer.
Adel ne pouvait pas refuser de m’accueillir chez lui, il s’était tenu à l’écart de cette histoire au moment le plus critique. Tout le monde en parlait. Depuis le départ de sa femme, sa maison était totalement vide. Je me suis dit que cela lui ferait aussi un peu de compagnie. Il a accepté ma demande sans hésiter. Sa femme était partie vivre dans le Sud de la France avec leur fille. Cela faisait plusieurs mois qu’elle voulait qu’ils déménagent, il n’était pas d’accord, pas prêt de s’éloigner de son père, il était encore vivant à ce moment là, de son côté elle avait l’opportunité d’un nouveau travail d’attaché administrative qui lui permettait de se rapprocher du domicile de ses parents, à Marseille. Ils avaient toujours été très proches. Sa femme ne pouvait pas refuser cette opportunité. Modérateur sur le web, Adel travaillait pour sa part en horaires décalés, dans des bâtiments impersonnels au possible, son travail était éprouvant mais il n’imaginait pas faire autre chose. Il ne voulait pas l’abandonner. Il n’avait pas voulu la suivre, ils s’étaient donc séparés, mais il l’appelait régulièrement pour rester en contact avec sa fille et tenter de convaincre sa femme que tout n’était pas fini entre nous, il espérait encore pouvoir la faire changer d’avis sur leur avenir commun, un jour ils se retrouveraient pour vivre de nouveau ensemble. En famille.
Quand je suis arrivée dans sa maison, il faisait déjà nuit, j’étais épuisée par mon vol, nous avons à peine parlé, juste évoqués en quelques mots la disparition d’Anna, mais j’ai senti très vite que les mots se bloquaient dans ma gorge. Je ne parvenais pas à parler. J’étais fatiguée, taciturne. Il a accéléré la visite de son appartement, il m’a montré où je pourrais dormir, il avait prévu de m’installer dans l’ancienne chambre de leur fille, Iris, il y avait déplacé toutes leurs affaires depuis leur déménagement. Il faudra ranger un peu, me dit-il en s’excusant du désordre qu’il avait l’impression de découvrir en ma présence, sous mon regard. Il faudra te faire une place pour t’approprier l’endroit. J’entendais faire le vide. Tu vas t’en sortir toute seule ? me demanda-t-il d’un ton neutre pour ne pas m’inquiéter. Je lui répondis oui de la tête. J’imaginais qu’il avait sans doute souhaité vivre aux côtés de quelqu’un dont il n’était pas trop proche afin de prendre un nouveau départ. Nous avions été amis dans notre jeunesse, mais nous étions restés très longtemps sans nous voir, et lorsque nous avions renoué, nos relations bien que fréquentes, étaient cordiales mais l’étincelle des débuts avaient disparus. Je n’avais jamais été attirée par lui, mais nos relations étaient chaleureuses. Lorsqu’il avait rencontré Madeleine, le jeu de séduction amusé qu’il nous liait, disparu immédiatement. Je ne lui en voulais pas, c’était tout à fait compréhensible, avec le temps la nature de notre relation avait évolué et l’épreuve que je traversais, renforçait cette distance. Ce que j’imaginais. Je vivais vraiment une période difficile. Dans l’attente et l’angoisse de savoir ce qui était arrivé à ma sœur.
Nous avons changé de conversation, évoqué nos boulots respectifs, avant de nous arrêter rapidement. Il sentait bien que je ne voulais pas parler, juste être en sa compagnie, au calme, dans sa maison. Cela faisait plusieurs mois que nous n’avions pas discuté ensemble. Je lui avouai que j’avais parfois peur d’être seule dans la grande maison de mes parents la nuit. Il me raconta une aventure qui lui était arrivé un été à la campagne. Dans une maison isolée, en pleine nuit, l’impression que la maison qu’ils avaient louée sa femme et lui, avec leur fille, était visité par des intrus. Je m’étonnais qu’il ne m’ai jamais raconté cette histoire auparavant. Je me souvins d’une sensation similaire. Un été en Italie. Sur la place déserte d’un village de montagne abandonné, aux constructions modernes, même l’église, reconstruite dans ce lieu sauvage et beau à la suite d’un tremblement de Terre, semblait neuve avec ses murs droits d’un blanc immaculé. Avec mon compagnon de l’époque j’avais garé la voiture après avoir effectué un large virage. Les pneus avaient laissé leurs fines traces sur le sable, recouvrant de plus anciennes marques qui montraient que cet endroit n’était pas la destination envisagée des voyageurs égarés, les traces dessinant un cercle au centre, à l’endroit où les voitures avaient fait machine arrière, sans même s’arrêter, dans un grand arc de cercle.
Je voulus savoir ce qui s’était passé entre sa femme et lui. Pourquoi s’étaient-ils séparés ? Il m’expliqua sereinement la situation. Il y a des jours, m’avoua-t-il, je voudrais tout abandonner. Lâcher prise, prendre ce risque. Ne plus supporter le regard des autres, la présence des autres, leur intrusion, leur bruit comme une perpétuelle agression. Un aveu, c’est toujours se mettre à nu, se dévoiler. Tête baissée dans mon épaule comme pour y chercher consolation, et se cacher un peu d’une trop grande solitude. Toujours difficile de l’avouer aux autres. Honte passagère. Même dans la complicité rêveuse d’une amitié de longue date, à toute épreuve. Sourire gêné. Difficile d’admettre qu’on est seul. Le mot est plus fort : inhabité. Comme cet appartement dont nous venions de traverser ensemble les pièces en enfilade. Les tableaux aux murs, portraits de famille, nous observaient au passage, sentencieux. Je fis mine de comprendre son point-de-vue, mais il voyait bien à ma réaction que je n’acceptais pas leur séparation. Il avait abandonnée sa femme.
Le lendemain, Adel est allé travailler. Toute la journée il a pensé à moi restée seule à la maison. Il espérait que tout allait bien, que je ne me sentais pas trop seule dans cette maison vide. Il est rentré à la nuit tombée. Il nous avait acheté à manger. En entrant il m’a demandé si j’avais faim. J’ai fait oui de la tête, sans bouger du fauteuil confortable dans lequel il devinait sans mal que j’avais passé la journée.
Je n’ai pas dormi pas cette nuit-là, en me levant il me trouva effondrée sur le canapé, la tête entre les mains, marmonnant une litanie incompréhensible de mots inaudibles. Je parlais dans le vide. Présence qui parle. Il se sentait très loin de moi mais c’est comme s’il pouvait m’entendre, il voyait mes lèvres bouger dans le vide, articuler en vain une bouillie de mots grommelés, maugréés en moi-même. Je parlais toute seule, dans un souffle, je ne savais pas qu’il m’écoutait, je me pensais seule au monde, abandonnée. J’avais fait comme lui le vide autour de moi. Ma vie m’abandonnait. Mais il restait à mes côtés. En silence. Mon double, mon ombre. Il aurait fallu arrêter le temps. Il se sentait un peu démuni. Il était de repos le lendemain, il me proposa de partir en promenade avec lui. Je relevai la tête et lui souris très légèrement avant de soupirer. Il prit cette réaction comme une acceptation de ma part.
Le lendemain matin, nous étions seuls dans la rue. Il avait plu. Les gouttes d’eau perlaient sur les parebrises des voitures garées en file indienne le long du trottoir. L’humidité noircissait la chaussée. Personne dans la rue à cette heure. Nous montâmes un grand escalier sur la pointe des pieds, nos corps déviant peu à peu comme attirés vers la barrière centrale. Il ne disait rien, il ne voulait pas me déranger, cette promenade était une parenthèse, un moyen d’être ensemble sans forcément parler de ce qui m’obnubilait depuis ces dernières semaines, rongeait mon corps et mon esprit, il pensait que j’avais besoin d’un moment de ce genre, un blanc dans mon existence, une respiration. Dans l’allée pavée coincée entre deux hauts pans de murs, les mains dans les poches de son veston trop serré, élimé par le temps, il avançait en silence à mes côtés non sans mal, l’imperfection des pierres et la démarche entravée par les mains qu’il cachait au fond de ses poches, pour lutter contre le froid, sa veste trop légère ne le protégeant pas du frimas, l’empêchait de marcher droit. Il me dit : Maintenant tu n’as plus de refuge. Tu as peur. Tu attends que tout s’arrête. La pluie, les heures, le flot des voitures, la vie, les hommes, le monde, que tout s’écroule, les murailles, les tours, les planchers et les plafonds, les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants. Les échos sonores de nos pas résonnaient dans nos têtes, ils claquaient et se diffractaient contre les parois gigantesques des façades des immeubles et leur conversation muette. Si nous criions, si nous appelions au secours, la ville nous renverrait nos cris, nos voix se perdraient dans l’immensité de ces rues désolées. Sur le pont, nous jetâmes tour à tour des pierres dans l’eau sans même prêter attention aux ronds dérisoires qu’ils formaient en contrebas. Les ondes déclenchés à la surface de l’eau par leurs rebonds successifs. À bout de force, continuer à marcher au ralenti, avancer malgré tout, dans la douleur, en traînant les pieds, en laissant balancer nos corps, avancer en vacillant à chaque pas, gestes lents, amoindris. Perdus. Ligne de mire. Point de chute.
Nous marchions d’un même pas, nous éloignant du centre-ville, nous traversions désormais un grand parc, longions des voies de chemin de fer abandonnées. L’herbe haute et sauvage poussait entre les rails, recouvrait le ballast, ralentissait à peine notre allure, nous avancions d’un pas décidé, plus rien ne pouvait nous arrêter. Des usines étaient fermées depuis très longtemps, friches industrielles, immeubles qu’on démolissait, dont il ne restait que les façades en sursis, frêles façades d’un monde ancien dont il ne demeurait plus que ces derniers vestiges, qui bientôt s’écrouleraient sous les coups de boutoirs réguliers d’une ancienne boule de démolition dont la masse d’acier sphérique pendue à la grue viendrait mettre à mal la résistance et la tenue de la structure de l’immeuble. La ville était un chantier ciel ouvert, un chantier abandonné depuis si longtemps qu’il partait en ruines avant même d’avoir été terminé. Une ville l’abandon dans laquelle nous continuions de vivre. Les murs partaient en lambeaux. Nous n’avions pas peur des ruines, c’était écrit en toutes lettres. Le mur se dressait en nous-mêmes. Les chantiers et les travaux. Les nuits et les jours. Dans de nombreuses rues, le décor était contrasté. Entre délabrement et friche. Par endroits le vert transparent des tissus voilaient échafaudages et ouvriers. Ailleurs, la décrépitude des immeubles et les monceaux d’ordures envahissaient les trottoirs et la chaussée. Voitures abandonnées. Murs qui s’effritaient, carreaux cassés, enseignes rouillées d’hôtels ou de restaurants fermés il y a déjà longtemps. Des chiens pouilleux dormaient affalés au soleil, tandis qu’une cohorte de chats aux poils collés grimpait en file indienne le long d’un fragile muret.
Le soleil s’était couché, la nuit venait de tomber. Il était temps de rentrer. Demain est un autre jour, un jour nouveau qu’on ne verra peut-être pas, pensais-je. En rentrant à la maison, Adel me proposa un thé. Nous l’avons bu tous les deux dans le salon, nos mains entourant l’émail des tasses pour nous réchauffer. C’est moi qui, la première, me suis mise à parler. Je le remerciai pour ce qu’il faisait pour moi en ce moment. J’étais heureuse de pouvoir me tenir loin de l’agitation liée à la disparition de sa sœur. Tu te souviens de cet homme dont tu m’avais raconté l’histoire, dont la vie était réglée, construite autour du travail, sa vie de famille comme sa vie de couple, tout tournait autour de lui et de la publicité. Cette histoire m’avait longtemps entêtée. Un beau matin, il avait pris sa voiture, rejoint le trafic routier dense du périphérique. Alors qu’il traversait avec sa voiture un long tunnel son véhicule s’était retrouvée coincé entre deux imposants camions. Il avait maintenu sa voiture entre les deux mastodontes, à leur hauteur, préservant une vitesse constante, et avec un large sourire en direction de l’un des chauffeurs qui avait remarqué son surprenant manège, il s’était amusé à lâcher ses mains au-dessus de son volant. La voiture avait poursuivi quelques instants sa route en restant plus ou moins dans l’axe des deux camions. L’un des camionneurs qui s’était rendu compte de son jeu pernicieux, du danger qu’il prenait et leur faisait prendre, l’avait klaxonné avec insistance, mais l’homme n’avait pas voulu céder, il avait continué son petit jeu, il faisait signe au camionneur de ne plus faire de bruit, de ne plus klaxonner en plaçant son index sur ses lèvres. Mais comme le camionneur insistait, il attrapa son volant avec une détermination rageuses et précipita sa voiture sous les roues du semi-remorque, le bruit des pneus crissèrent en virant à cette impressionnante vitesse, la tôle se froissa, se plissa sous les essieux du camion, qui l’écrasa et la pulvérisa sous ses roues dans un fracas tonitruant qui ressemblait à un cri de douleur.
Tout ce que je veux, c’est qu’elle revienne, avouai-je en me prenant la tête entre mes mains. Je suis sûre qu’Adel pensait la même chose, mais sans doute en pensant à sa femme avant de penser à ma sœur. Fatiguée par notre promenade harassante, je m’excusai et j’allai me coucher ce soir-là sans manger. Il m’accompagnait jusqu’à l’ancienne chambre de sa fille, car il voyait bien que je tenais à peine debout sur mes jambes. Je passai mon bras autour de ses épaules. Il sentit mon poids au contact de son corps. Il frissonna. Après m’avoir accompagnée à ma chambre, Adel alluma la télé pour se sentir moins seul. En ce 11 septembre, jour anniversaire de l’attaque contre les tours du World Trade Center, les chaînes de télévision diffusaient en boucle des reportages sur l’événement. Il zappa entre plusieurs chaînes avant de se fixer sur l’une d’elles un peu au hasard, pour abandonner cette errance inutile à travers ces programmes uniformes. En revoyant ces images il se souvint de tout ce qu’il avait vécu ce jour-là devant sa télévision. Montrer indéfiniment certaines images que l’on rediffuse sans cesse, les monter en épingle et sortir le grand jeu, en direct-live, la collision hétéroclite des images en boucle bouscule toujours les mêmes habitudes, il faut boucler la boucle et du fond de notre mémoire surgissent en quelques millièmes de seconde, les images emmagasinées de films dits catastrophes des productions à gros budgets, impression de déjà-vu, effet de réel hissé au rang d’esthétique. Nous ne reconnaissons que des structures préexistantes, terrible et brutale discontinuité de la catastrophe, en exclusivité sur toutes les chaînes de télévision, l’audimat en prime, image explosive indécente, quand les choses deviennent trop réelles c’est toujours pareil, le nez collé dessus sans recul, nous nous situons dans l’obscène inanité, montrer, réagir, dénoncer, maître mot l’émotion, capture et diffusion en temps réel, tragique apogée du direct. Bégaiement de l’émotion, superposition de la surprise au choc, en deux temps trois mouvements : Oh my God ! La fascination et l’effroi, ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai, inimaginable mille-feuilles de chaos, pas un corps, pas de traces de violence, ni de feu ni de sang, sinon la grandeur des ruines.
Au fil du temps, la disparition d’Anna était sortie peu à peu de l’actualité, des discussions et des préoccupations de chacun, et le mystère non élucidé de sa disparition se transformait pour ceux qui ne le vivaient pas directement en légende urbaine. De loin en loin les gens se souvenaient qu’il s’était passé un événement très étrange. Pourtant, au départ, les habitants du quartier avaient participé aux recherches, aux battues, ils avaient répondus aux convocations, aux questions de la police, suivis l’enquête à distance, ce que la télévision pouvait en dire, les conjonctures remplaçant vite les certitudes et les faits, mais depuis, le temps avait patiné les bonnes volontés même si l’enquête restait ouverte. L’issue incertaine. Comme cela s’était passé avec le 11 septembre plusieurs temporalités s’opposaient. Quelques minutes plus tard cette partie de la tour s’effondrait et n’était plus que cendres. Ce qui explosait ici c’était le quotidien, la trame des routines quotidiennes, ce qui nous paraissait normal mais c’était inattendu et si soudain, montrer, réagir, dénoncer, matière visuelle sonore et verbale, prolifération du commentaire et de sa puissance cancérigène, car rien ne sera plus comme avant, rien désormais ne sera pareil. Les enquêteurs avaient cherché la disparue. Ils l’avaient cherchée absolument partout. Dans la ville et en dehirs de la ville. En périphérie. Dans la campagne. Ils avaient suivis des pistes qui, les unes après les autres, s’étaient toutes révélées fausses, inexploitables. La nuit, je rêvais de l’endroit où Anna avait pu fuir. J’espérais qu’elle avait pu échapper à son agresseur, fuir son bourreau, tromper la vigilance de son kidnappeur. Elle avait été enlevée, j’en étais persuadée. La police privilégiait également cette piste. Je rêvais qu’elle descendait la rue, les vêtements trempés, la peau presque bleue, transie de froid, grelottante. Je rêvais que j’étais la première à parvenir jusqu’à elle avec une couverture et que je la ramenais à notre domicile en toute sécurité. Explosion de temps suspendu, on se parlait, on se téléphonait, on échangeait, on se regroupait, on s’associait face à l’événement, il fallait faire front, un bloc solide, mais ce n’était pas un partage c’était un clivage, montrer, réagir, dénoncer : pour la première fois nous avions les images avant l’information, vous comprenez, vous pouviez être victime mais avoir tort, voilà ce que l’on pouvait dire, l’événement suspect par sa subordination au témoignage oculaire, voilà ce que l’on pouvait dire en tout cas, à la sphère de la visibilité.
Dans la nuit, je m’étais mise à rêver encore une fois de ma sœur. Elle était là avec un type très jeune, elle me regardait comme si elle ne savait pas qui j’étais, comme si elle me voyait pour la première fois de sa vie, une inconnue. J’étais troublée par son regard méfiant. Elle s’était vite détournée de moi, comme si je n’étais pas là. Je suis restée interdite. Je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas comment réagir, je devenais invisible. Elle a pivoté vers le jeune homme à ses côtés qui était venu lui faire une surprise. Elle m’a regardé une dernière fois avec ce regard qui n’avait pas changé, distant mais cordial. Cette politesse déplacée m’a blessée. N’hésitez pas à me demander quoi que ce soit, m’a-t-elle dit avant de se retourner pour embrasser son compagnon et faire comme si je n’existais plus. Dans son regard et sa voix, cette distance et ce mépris de l’inconnu. Je me suis éloignée d’eux et tout autour de moi semblait disparaître dans une pénombre étrange, comme si le monde s’effaçait. Puis je me suis réveillée en sursaut, me suis mise à crier de toutes mes forces sans pouvoir m’arrêter, je me tenais debout sur le lit quand Adel a surgi dans la chambre et qu’il a allumé le plafonnier. Tu m’entends ? Il m’appelait sans parvenir à me maîtriser, inaccessible, sans oser monter à son tour sur le matelas dont l’instabilité risquait de me faire tomber à tout moment. Tu m’entends ? Il est resté à distance, main tendue prudemment vers moi, répétant son appel : Tu m’entends ? J’ai brusquement ouvert les yeux, j’ai cessé de crier. Il a essayé de me réconforter comme il a pu. Il m’a prise tendrement dans ses bras, assise sur le rebord du lit, les draps en désordre. J’ai fini par me rallonger et m’endormir. Il est revenu me voir un peu plus tard dans la nuit pour vérifier si j’étais assoupie. J’avais les yeux fermés et dormais profondément. Ma respiration était régulière. Adel a posé sa main sur mon front puis il l’a enlevé doucement, c’était comme une caresse apaisante.
Quelques jours plus tard, j’allais mieux. Dans les affaires de sa fille, j’ai trouvé une vieille radio. Depuis la disparition de ma sœur, je ne parvenais pas à accepter l’idée de retourner chez mes parents, très près de l’endroit où Anna avait disparu quelques mois plus tôt. Je restais enfermée dans l’appartement d’Adel. Je ne voulais voir personne. Je ne pouvais pas me confronter aux autres. Leur regard me jugeait, me jaugeait. La plupart du temps, je demeurais atone, accablée sur le lit. Je ne parvenais pas à dormir, je passais la nuit à écouter la radio. Cette seule présence m’accompagnait désormais, celle de ce présentateur de radio que j’avais découvert un peu par hasard. Il parlait seul dans la nuit persuadé que presque tous les attentats terroristes avaient été mis en scène par le gouvernement qui rêvait de dépouiller le peuple de sa liberté. Et ceci à longueur de journée.
J’observe le monde et je tente de le décrypter. Vous êtes de plus en plus nombreux à me suivre, à m’écouter. Je sens que ce je vous raconte tous les soirs trouve un écho en chacun de vous et vous touche. Merci pour vos réactions et vos commentaires. Nous sommes de plus en plus nombreux à relever le défi, à nous unir autour d’un objectif commun : faire éclater la vérité. La crise financière que notre pays traverse sera utilisée soyez-en sûrs pour justifier l’instauration prochaine d’un état judiciaire, où le droit commun sera suspendu. Je m’étais mise à écouter cette émission de manière régulière. Je restais prostrée sur le lit à écouter la voix qui s’emportait sur les théories du complot. La plupart du temps je ne comprenais pas ce que cet homme disait. Quels étaient ses intentions. Je ne connaissais rien de son parcours. Il y avait quelque chose de vibrant dans sa voix, de chantant et d’enthousiaste, mêlé à une conviction vivifiante. Le fait d’entendre cet extrémiste de droite délirant pleurer sur le destin de notre pays m’apportait étrangement un certain réconfort. Je ne peux pas expliquer ce qui m’attirait dans son discours. Il me fascinait.
Nous ne devons pas tomber dans le piège des médias qui façonnent notre façon de penser, nous conditionne, et je ne parle pas des théories du complot dont on nous rabat les oreilles depuis tant d’années. Le programme scientifique et militaire de recherche sur l’ionosphère est en fait une arme pour pouvoir modifier le climat, interrompre toute forme de communication hertzienne, détruire ou détourner avions et missiles transcontinentaux et finalement, influencer les comportements humains. Certaines traînées dans le ciel ne sont pas comme on nous le répète constituées de cristaux de glace ou de vapeur d’eau condensée produite par les avions, elles résultent en fait de produits chimiques ou d’agents biologiques délibérément pulvérisés à haute altitude dans un but non divulgué mais qu’il est aisé d’imaginer. Les méchants n’avancent plus masqués, ils s’affichent en couverture des magazines. La presse est leur meilleure alliée. Les plus riches ont tous les pouvoirs, ils possèdent le monde entier, leur principal objectif est de maintenir ce statu quo. Le jour venu, nous resterons seuls, abandonnés, les puissants auront rejoints leurs refuges à l’abri, et nous devrons faire face au désastre des catastrophes qu’on dit naturelles, subir les épidémies les plus endémiques. L’horizon est sombre. Nous supportons cette situation depuis trop longtemps, il est temps de faire face.
Quelques jours plus tard Adel a reçu un coup de fil sur son lieu de travail. Mes parents lui ont annoncé la mort d’Anna au téléphone, ils cherchaient à me joindre pour m’apprendre la nouvelle. Ils ne savaient pas que j’étais chez lui, mais ils avaient téléphoné à tous ses amis pour tenter de me trouver. La mort d’Anna avait été d’une rare violence. Le patron d’Adel comprenant la gravité de la situation, l’a laissé rentrer chez lui. Je n’étais pas chez lui. J’étais partie me promener. C’était la première fois qu’il rentrait et qu’il ne me trouvait pas à la maison. Jusqu’à présent je n’étais sortie qu’en sa compagnie, préférant demeurer seule à la maison. Il eut l’impression d’entrer de nuit dans une maison inconnue et déserte, à l’abandon. La porte était restée ouverte, inutile de la forcer, il avait poussé le battant prudemment pour pénétrer à l’intérieur. Il avançait doucement pour ne pas se faire remarquer ou trébucher dans la pénombre du lieu. Les branches des arbres à l’extérieur recouvraient de leurs dessins les motifs floraux du papier peint. Dans son appartement qui semblait désert, il hésitait à avancer. Il ne restait dans son ancien bureau que quelques tableaux déposés au sol contre le mur ainsi qu’une lampe posée à même la moquette. L’appartement avait été vidé d’une partie de ses meubles, renforçant la présence des murs aux peintures défraîchis. Ses pas craquaient sur la moquette qui dissimulait mal le parquet qu’elle recouvrait, cache misère. Un coup d’œil à droite, à gauche, personne n’était là pour l’accueillir, il avançait prudemment. Un édredon poussiéreux posé sur la table de la chambre d’amie, dans la pénombre de la pièce attira son attention distraite. Il caressa un instant le tissu à pompon d’un air absent, rêveur. Le sable lorsqu’il coule entre ses doigts laissait la même impression fuyante. On ne faisait plus depuis longtemps de matelas de ce genre. Tout ce qui l’entourait existait-il vraiment ? n’était-il pas en train de le rêver ? Il avait tant de fois imaginé cette scène, cette avancée dans l’inconnu, le cœur battant, sensation d’interdit et d’aventure. Mais avec le temps ces scènes se mêlaient avec la réalité, son passé était un rêve du présent. Il avançait dans les pièces de l’appartement avec la lumière de son téléphone portable. Les peintures cachées, restées si longtemps invisibles, dissimulées à son regard par le quotidien et ses habitudes, sous la lumière bleutée du téléphone comme un pinceau lumineux venant en souligner les couleurs, les formes et l’évanescence de leur présence en ce lieu inédit. Il a inspecté toutes les pièces de l’appartement, je ne répondais pas à ses appels, mais il préférait être sûr que je ne m’étais pas endormie dans un lieu incongru de la maison, avant de sortir me chercher dehors, dans la rue, sans trop savoir d’ailleurs où j’aurais pu me rendre. Il m’a cherchée partout. Il se demandait où j’avais bien pu me réfugier. Dans quel recoin m’étais-je installée pour m’effondrer comme cela m’arrivait souvent. Il regardait autour de lui sans me voir dans aucune des pièces de son appartement. Il commençait sérieusement à s’inquiéter. Il craignait que j’ai appris la nouvelle de la mort de ma sœur en essayant de joindre mes parents, peut-être étais-je partie ou pire, ravagée de douleur et de peine, m’étais-je précipitée dans la rue pour pleurer ? Il avait tout envisagé. C’est à ce moment-là que j’ai déboulé sans prévenir derrière lui, il ne m’a pas entendue m’approcher, il ne me voyait pas, il ne pouvait pas soupçonner ma présence dans son dos. Je l’ai surpris en surgissant furtivement, en posant ma main sur son épaule, mais sur le coup il a été si déconcerté par cette intrusion inattendue, que sa réaction a été d’une violence disproportionnée, dans ce geste stupéfait, ahuri, le mouvement violent de son corps se retournant pour m’esquiver, m’a envoyé m’écrouler au sol, loin de lui, ma tête a frappé durement le recoin pointu d’un meuble. Il m’a vu m’affaler par terre, le regardant d’un air hagard et pétrifié, le nez saignant avec abondance, sang que je fis disparaître mécaniquement d’un revers de manche. Je le regardais abasourdie, comme un étranger dans sa propre maison, un intrus. Il était désolé, désorienté, confus. Il me supplia de l’excuser. Mon Dieu qu’est-ce que j’ai fait ? répétait-il tétanisé, incapable de dire autre chose, de réagir autrement. Je me tenais au sol, sans bouger, essuyant encore une fois mon nez qui continuait à saigner abondamment. Dans son geste et le choc brutal de la chute, l’un des boutons de mon chandail était tombé au sol et continuait à tourner sur lui-même telle une toupie sans fin. Je me mis à genou, il m’aida à me relever, je ne refusai pas son aide, ce qui le rassura, je ne lui en voulais pas et comprenais qu’il avait eu peur autant que moi. Le plus dur était à venir. C’est là qu’il m’apprit la mort de ma sœur. Je ne pleurai pas, le regardai longuement droit dans les yeux, sans savoir quoi dire.
Dans la soirée, après le repas, Adel voyait bien que j’étais abattue, je venais de téléphoner à mes parents qui me suppliaient de rentrer au plus vite. Ils étaient effondrés, perdus. Je leur promit de venir dès que possible. Je prendrais un avion pour Marseille dès le lendemain. Quand je rejoignis Adel dans le salon, j’avais beaucoup pleuré au téléphone, le Rimmel de mes yeux avait abondamment coulé, dessinant sur leur pourtour une large ombre noire me donnant l’air d’un chien battu. Il m’accompagna à la salle de bain pour que je me démaquille. Les cotons humides sur mes paupières me soulagèrent un instant. Je lui expliquai que je devais rejoindre rapidement mes parents, ce qu’il comprenait parfaitement. Il n’était pas sûr de pouvoir le faire avec son travail, mais sans réfléchir il me proposa de m’accompagner là-bas. J‘étais soulagée par sa proposition et me mis à sangloter. Il me prit dans ses bras et me serra très fort pour me réconforter. Il n’avait sans doute jamais serré si fort dans ses bras une femme avant moi, avant ce moment-là. Je soupirais, j’avais du mal à respirer, pour me soutenir et ne pas tomber par terre, m’évanouir, je m’appuyais contre le mur et la tête posée, le front contre le dessus de ma main. Ma poitrine se soulevait en rythme régulier, plusieurs fois de suite la tension électrique fit éteindre la lumière dans la pièce et nous plongea dans une troublante obscurité. Un très court instant, une respiration qui se calait sur mon souffle coupé. Voyant que j’étais épuisée et que j’en avais vraiment besoin avant d’aller me coucher, il m’a proposé de faire une séance de relaxation. J’ai été surprise qu’il pratique la relaxation. Il avait suivi dans le cadre d’un séminaire dans son entreprise une série de formation sur le développement personnel et la relaxation en faisait partie. Nous nous installâmes dans sa chambre. Je m’assis sur le rebord du lit, de biais et il s’installa derrière moi dans mon dos. Expire lentement, me dit-il, recommence, concentre toi bien sur ta respiration. Tu la sens jusque dans tes pieds ? Jusqu’au bout de tes doigts ? Il avait placé ses mains sur mes épaules. Respire profondément, continue de respirer. Relâche tes épaules. Laisse ton corps s’enfoncer à chaque expiration. Il sentait mon corps se relâcher. Pense à un endroit, me proposa-il. Un endroit paisible où tu te sens en sécurité. Réel ou imaginaire. J’étais à la dérive, lui avouerai-je après la séance, allongée au fond d’une barque dans la nuit, sur la rivière et ses reflets. Fais un pas en avant. Regarde sur ta droite. Maintenant à gauche. Ressens l’air sur ta peau, observe les couleurs. À présent, marche vers l’endroit où tu veux te rendre, l’endroit calme où tu te sentirais en sécurité. Entre dans cet endroit quel qu’il soit. Trouve un lieu paisible, et repose-toi. Inspire et expire. Lentement, profondément et sois en paix. Tu es en paix. Après un moment de silence, il me demanda d’ouvrir les yeux quand je me sentirais prête. Je crois que j’aimerais vraiment être seule, lui dis-je un peu gênée à la fin de notre séance. Il sortit de la chambre et me laissa seule.
Lorsque je me suis endormie dans ma chambre, il est allé se coucher à son tour. Il n’a pas pu s’empêcher de faire une recherche sur Internet sur l’assassinat de ma sœur. Les images en ligne était insoutenables. Il espérait que je ne les verrais jamais, mais il se sentait impuissant devant l’impossibilité de cette tâche. Ce mot aux double sens le troubla et l’image de la clé souillée de sang qu’on ne parvient pas à effacer après avoir ouvert la cache de Barbe-bleue lui revint en mémoire et l’obséda quelques instants. Un homme avait été retrouvé dans la zone pavillonnaire où habitait Anna. Il venait de se suicider après avoir signé des aveux sur une lettre qu’il avait laissé à son domicile, sans expliquer pourquoi il l’avait tuée. Adel cherchait à se renseigner en ligne sur cet homme qui avait sauvagement assassiné ma sœur. Cet homme, pouvait-on lire dans certains articles, entrait la nuit dans les appartements des habitants de son quartier pour les espionner, vivre dans leur maison lorsqu’ils en étaient absents. On révélait qu’il aurait été surpris par Anna qui rentrait chez elle et qu’il l’aurait tuée sans laisser cependant la moindre trace de lutte et du meurtre dans son appartement. Il aurait dissimulé le cadavre d’Anna pendant de longues semaines dans une friche industrielle abandonnée à la sortie de la ville.
Adel n’arriva pas à dormir après avoir vu toutes ces images horribles qui tournaient dans sa tête. Il avait décidé de m’accompagner et d’assister à l’enterrement de ma sœur. Il voulait être proche de moi dans cette épreuve difficile que je traversais. Il se sentait enfin utile. Avec une raison de vivre. Quelque chose avait changé entre nous ces derniers jours passés à son domicile, il décida d’écrire une lettre à sa femme pour éclaircir ce point avec elle. Il ne voulait pas la blesser. En même temps c’était elle qui l’avait quitté. Mais il espérait qu’elle serait sensible à son geste, sans rancœur, qu’ils restent amis, et qu’il puisse continuer à voir sa fille. Courbé sur une feuille de papier qu’il recouvrait de son écriture serrée et nerveuse, assis en tailleur sur la moquette, dans l’appartement désert, il écrivait. La phrase le portait. Son rythme, et son lyrisme. Presque tous les jours il y a des mots qui disparaissent parce qu’ils sont maudits. À la place on met de nouveaux mots qui correspondent aux idées nouvelles, d’ailleurs depuis deux ou trois mois, il y a des mots que j’aimais beaucoup qui ont disparu. Les années avaient été pour nous, pas contre nous. Il fallait que je lui dise, que nous nous quittons sans nous battre, sans reproches. Ce n’est pas toi, c’est moi. Il fallait que j’y aille. Cela ne pouvait pas durer ainsi. La vraie vie est ailleurs. Des siècles et des siècles à s’enfuir dans le lointain comme des orages. Il comprenait enfin qu’il s’était éloigné d’elle depuis trop longtemps, l’image devenait claire dans son esprit. Il s’était éloigné dans la rue, elle l’avait suivi quelques mètres derrière, il le savait, le devinait. Il ne s’était pas retourné tout de suite, c’était un jeu entre eux. Avant quand il se retournait, il s’attendait toujours à ce qu’elle soit là, derrière lui, un signe. Il se retournait, il n’y avait plus personne. La rue était vide. Un vélo passait au loin qu’il voyait à peine. Il se sentait seul et abandonné. Désormais il n’était plus seul.
« Presque tous les jours il y a des mots qui disparaissent… » Merci Philippe Diaz. Plongée en apnée dans ces disparitions.
Merci beaucoup Ugo, pour cette précieuse lecture.
La vie – puissance – en friche, délabrement, suffocation des pensées… la disparition, l’appel, on suit tout au millimètre, les yeux dans l’écran, les effets de réel qui oppriment et relancent. Impossible de détacher les yeux
Merci pour votre lecture Françoise, ravi de ce que vous relevez dans ce texte qui se révèle pour moi au fil de l’écriture, ce qui rend cet atelier chaque jour si captivant.