La première fois que j’ai frappé mon fils, j’avais mal à la main, mes doigts étaient bleus. Il m’a répondu, je venais de comprendre que ma vie était passée, je ressassais ce sentiment depuis plusieurs semaines. Nous vivions tous les trois, comme si nous avions l’éternité devant nous, nous vivions dans ce mensonge, je ne pouvais plus. La première fois que j’ai frappé mon fils, j’ai eu mal à la main pendant une semaine, c’est lui qui m’a répondu sur un ton méprisant, il pense que ma vie est finie, que je n’ai plus qu’à attendre la faucheuse, assis dans mon fauteuil, pendant que lui vivra, je l’ai frappé, moi aussi je suis vivant. Je me demandais pourquoi ils faisaient tous la grève, quel intérêt cela pouvait-il avoir, rien ne changera, rien ne change jamais, il m’a répondu d’un ton méprisant, que j’étais vieux, qu’avec des gens comme moi rien ne changerait jamais. Qui il est pour me dire ça, je l’ai tapé, j’ai eu mal à la main pendant une semaine, j’ai aimé avoir mal à la main, je suis vivant, j’ai toute la vie devant moi. La première claque qu’a reçu mon fils, est parti tellement vite, que moi-même j’étais surpris, ma femme m’a regardé, elle m’a jugé, lui regardait, il se payait ma tête, alors je me suis déchainé, je ne suis pas fini, bon à jeter, je suis un homme, ma vie mérite le respect, son mépris il le garde pour les autres, moi je l’ai nourri, je lui ai payé ces études, ce n’est pas avec ce qu’elle ramène à la maison qu’on aurait pu partir en vacances, ni ce payer toutes ces machines. J’ai eu mal à la main, c’est bon d’avoir mal, on vit, chaque geste que l’on fait vous le rappelle. Après j’étais seul ils sont partis, je me suis excusé, ça n’a servi à rien. Le premier coup que je lui ai donné m’a libéré, libéré de cette vie, de cette petite vie, de toutes ces années d’obéissance aux obligations, à la politesse, aux convenances, d’obéissance aux ordres, à faire semblant, je suis vivant. J’ai eu la main bleue, après, c’était la preuve de ce que j’avais fait, elle m’a condamné, lui aussi, ils sont partis. Je ne suis plus un chien, je dois de compte à personne, je suis libre. Le premier coup, leur a montré qui j’étais, fini de faire semblant, qu’ils partent s’ils le veulent, j’ai du temps pour refaire ma vie, refaire une vie digne d’un homme, pas cette vie-là, elle sait d’où je viens, elle devrait comprendre, elle connait ma vie, je ne suis pas un gentil toutou. La première fois que j’ai frappé mon fils, j’étais comme mon père, j’étais lui, enfin depuis le temps que je fuyais ce qu’il était, je le voyais en moi. Je voyais ma vie disparaître, comme la sienne, une vie inutile, perdue. J’ai eu la main bleue le lendemain, lui aussi il avait les mains bleues, il avait toujours les mains bleues. Ils sont partis, moi aussi je suis parti, c’est ma vie. Ce jour-là il m’a répondu, comme un adulte à un enfant, il m’a humilié, lui il y croit aux grèves, c’est un gamin, je l’ai frappé, je l’ai rabaissé, elle croyait que j’allais m’écraser, que j’allais laisser son fils chéri me traiter comme ça, elle rêvait, après tous les jours il aurait recommencé, je me suis déchainé, il fallait arrêter ça. Ma vie disparaissait, je devais réagir. J’ai eu mal moi aussi, ma main me faisait mal, elle est devenue bleue le lendemain, mes doigts étaient bleus, à mon réveil ils étaient partis, pourtant je me suis excusé, il fallait que réagisse, je ne suis pas un légume, à l’âge qu’il a, il doit me respecter, c’est normal d’attendre ça de son gamin. Mon père on le respectait, jamais je ne me serais permis de lui répondre comme ça, jamais, ma mère elle n’a jamais rien dit, elle restait à sa place. J’ai fait ce qu’il fallait, il y a des choses sur lesquelles on doit tenir, autrement c’est n’importe quoi. Je devais faire ça.
Fort et juste et ça continue, juste et fort… Bravo
merci
Fort ! Horriblement chirurgical de précision….
et ça fait écho étrangement à ce texte que j’ai écrit il y a quelques semaines ici : https://www.tierslivre.net/ateliers/p8-dr-jekyll-mr-hyde/
Les séquences qui s’enchaînent : causes> conséquences…
Merci. Il y a des questions auquel je ne trouve pas de réponses, j’a vu autour de moi des hommes, devenir comme le père qu’il méprisait, violent ou alcoolique, ou les deux, je ne sais pas pourquoi, et j’écris pour poser des questions, celle ci par exemple. Il y a dans Vernon Subutex, un personnage très réussi d’homme violent.
Terriblement juste, précis, puissant…
merci
Le vrai virage c’est vraiment avec « j’étais comme mon père »… là, le gouffre s’ouvre et tout s’effondre…
j’ai beaucoup aimé lire ce texte…
merci
Sacré texte Laurent, tu sais de ceux où on ne décroche pas les yeux des lignes. Il y a un frisson qui se dégage de tes mots
Merci beaucoup.
Merci Laurent. C’est très fort. Le ressassement. La rumination butée. (Devenir comme: père ou mère . Reproduire jusqu’au dégoût)
merci beaucoup.
J’aime beaucoup ce texte – J’en aime la puissance et en même temps son côté terrible – L’énergie de ce texte est magnifique et violente à la fois. J’aime l’écriture et tout ce que l’on sent derrière ce père, cette gifle, le fils, son père, la mère, leurs relations. Ce que l’on a fait et que l’on regrette mais qu’on ne regrette pas non plus car on a le droit d’être en colère, on a le droit d’avoir tort même si on pense aussi avoir raison. On a le droit de faire même si on ne devait peut-être pas. C’est un très beau travail Laurent. Très fort ce personnage. Bravo !
Un grand merci, je suis d’accord avec toi, on le droit d’être en colère, mais bien sûr on ne doit pas frapper un enfant, je crois qu’on s’abîme en faisant ça et on abîme l’autre.