La fille ne mérite ni d’être décrite, ni située, ni même évoquée. Elle est des filles transparentes comme il y en a parfois, comme il en a croisé tellement déjà. Tellement fou toutes ces filles transparentes qui courent après le regard sans jamais être vu, qui courent les rues, courent partout, mais que l’on oubliera la minute suivante, celles là sont les gagnantes, les autres on ne les voit même pas. La fille transparente est arrivée en retard, c’était prévisible, elle est de celle que le retard occupe, épaissi, elle est de celle pour qui le retard dessine un contour, une contenance, si elle n’arrive pas on l’attend, si on l’attend elle existe, un moment au moins remplie par son absence, la fille transparente en retard a donc fini par arriver. Il le savait avant qu’elle apparaisse, comme savent toujours les gens qui eux sont en avance, comme un espèce de sens accru, aiguisé par la supériorité de celui qui ne peux pas, même si il le voulait, arriver après l’autre. Il a deviné le regard qui serait fuyant, les pas pressé, la bouche qui se précipiterai pour parler, la teinte du visage échauffée la fille transparente décoiffée, l’apparence du retard déjà connu à l’avance et les mots qui sortirait pour expliquer. Les excuses désolées et toutes les anecdotes inutiles dont il se fiche mais qu’il fera semblant d’écouter, qui sortiront de sa bouche à elle pour pénétrer de son cerveau à l’œil, les mots vides qui s’insinuent pourtant à l’intérieur pour ne rien raconter, le charabia incessant du banal quotidien, des bus en retard et des ascenseurs coincés, des portes automatiques déréglées, des trains immobilisés, les racontars de toutes ces foutues choses que l’être humain à inventé pour aller d’un point a à un point b mais qui finissent toujours par ne pas tellement marcher et qu’on finit toujours par regretter d’avoir emprunté. La fille a le corps de toutes celles qui ne marchent pas, mais qui courent partout véhiculées, les corps mous qui se glissent de voiture en bus en taxi en train et qui doivent parcourir des kilomètres sans jamais ressentir ni muscle, ni fatigue, ni rien, qui se glissent de collants en robe en legging en jogging en short sans trop de différence et d’amusement. Les mains de la fille s’agitent quand elle parle pour ne rien dire, elle ne cesse de bouger ses doigts imparfaits pour tirer un pull qui lui ressemble tant, un pull sans forme et sans intérêt, un pull qu’on n’imagine pas avoir été pensé par quelqu’un, puis dessiné et mis en rayon, un pull qui pourrait ne pas exister, rien n’en serait vraiment changé. Et cette manie des mains qui ne peuvent pas s’arrêter de bouger autour de la tasse, qui grattent la table, qui dessinent des ronds sans fumée, qui plient des petits bouts de papier, qui prennent puis reposent le sachet de sucre sans jamais l’utiliser pour ce qu’il devrait, c’est-à-dire être ouvert et déversé dans le liquide chaud qui ne doit plus l’être, tant la fille parle plus qu’elle ne boit. Étonnant d’ailleurs ce manque d’alcool chez elle, il se montre un peu surpris du coup et un peu attendri aussi. elles sont rare celles qui ne remplacent pas le vide par le plein de liquides liqueurs et autres alcools lactés, qui ne font pas leur mine ravie alors que le verre minuscule contient à lui seul tellement d’aigreur qu’elles auraient déjà vomi, rien qu’à le regarder, rare celles qui ne font pas croire qu’elles peuvent enchainer la bière la vodka le gin et un rhum coca sans imaginer dégueuler après sur toi. Celle là ne boit pas d’alcool en tout cas pas là et c’est assez rare pour qu’il le note et qu’il se mette à l’écouter cette fois. Il n’y a rien à dire sur la mort de la fille. Sa mort ne mérite ni d’être décrite, ni située, ni même évoquée.
codicille : hésité à mettre ce texte comme ça, retouché quelques trucs, parce qu'un peu effrayée moi même par la misogynie du personnage, en même temps, c'est ce qui le constitue - première fois que je ressens la question de s'auto-censurer dans l'écriture