Exit la bête qui ronge. Elle sait que tout a commencé voilà une trentaine d’années, sur une place dans une ville suisse, vers minuit, lors d’une querelle dans laquelle la jalousie occupait un espace injustifié. Il avait donné un coup de pied dans sa valise, elle avait roulé sur le sol pentu puis était tombée sur le flanc gauche au bout de quelques mètres. Elle était sidérée, sans voix, elle l’avait détesté, elle avait eu envie de le gifler, n’avait pas supporté de ressentir tant de haine. Exit la bête qui ronge. Pourtant elle a passé toutes ces années avec lui tout en se demandant pourquoi elle demeurait là, pourquoi elle n’était pas partie à ce moment-là et surtout pourquoi elle restait encore. Bien des heures à ressasser cette situation qu’elle n’arrivait jamais à dénouer. Exit la bête qui ronge. Depuis ce jour, avec des fréquences variables et des motifs futiles, il n’a cessé de distribuer des coups à toutes sortes d’objets en y associant cris et jurons, pleurs face à la menace de départ. Le calme revient ensuite et un nouveau visage affable apparaît, ersatz de M. Hyde et Dr Jekyll, allégorie de la double personnalité. Exit la bête qui ronge. Aujourd’hui elle est partie sans mot dire. Exit la bête qui ronge. Elle a entretenu durant de longues années un brouillard personnel avec lequel elle a décidé de rompre. Partir sans informer personne avec seulement un sac à dos pour bagage. Exit la bête qui ronge. Elle va quitter cette ville qui n’a jamais représenté quelque chose d’essentiel pour elle. Exit la bête qui ronge. L’arrivée se déciderait d’elle-même. L’essentiel, partir pour ne pas s’effondrer un jour.