Il est encore tôt… le jour effleure à peine l’atelier, je suis descendu tôt, je profite du calme, j’en ai besoin, pourtant rien ne l’a effleuré ce calme, ne l’a encore effleuré, il n’y a aucune raison qu’il soit endommagé, simplement en écoutant le souffle calme de Chantal j’ai eu besoin d’être au diapason et je suis descendu trouver le calme de l’atelier, ce calme que j’aime tant tôt le matin quand je suis seul, quand je suis descendu avant que Bob, Karima et Fabio arrivent, avant même que Chantal ne s’installe dans la boutique, avec un livre ou une broderie, pour être prête à répondre à un client sans que nous nous dérangions ou qu’elle toque à la fenêtre sur le jardin pour m’informer, elle y tient toujours, de son emploi du temps, généralement des courses à faire ou une visite, elle dit que c’est bien ainsi, que nous devons nous intéresser à tout ce que fait l’autre, elle appelle cela faire équipe, oui je suis descendu pour être seul, si tôt aujourd’hui que j’ai dû allumer une des suspensions au dessus de la table où je viens de poser le dessin sorti de son tiroir, le dessin du violon que nous voulons offrir à Valérie, et je souris au dessin, je l’aime bien Valérie, elle est drue et solide en apparence, comme son père, comme sa grand-mère et Chantal, mais elle a aussi un peu de la joliesse de sa mère, enfin je crois, je l’ai à peine connue sa mère, elle est partie un mois après mon mariage, pendant que nous étions dans les complications de notre installation, oui nous étions tous dans les complications, tellement qu’elle est partie presque sans qu’on s’en aperçoive, sauf son mari bien sûr, même s’il n’a rien dit que l’indispensable, des monosyllabes en réponse aux deux femmes qui s’étonnaient que nous n’ayons rien deviné, il n’a rien dit mais son menton est devenu carré et il s’est débrouillé pour arrêter ces chantiers lointains qu’il aimait, oui Valérie a un peu de la joliesse que l’on devine sur les photos de sa mère, mais sans ces grands sourires qu’elle montrait à l’appareil, et puis il y a ses yeux, la prière discrète dansant au fond de ses yeux quand elle ne se surveille pas, un peu comme une faiblesse tendre, un étonnement, un peu comme les yeux de son grand-père, et je me demande parfois si je ne vais pas les avoir aussi ces yeux, je me le demande, et à vrai dire je trouve que je les ai, surtout le matin quand je me regarde mais c’est idiot parce que tout le monde a des yeux inquisiteurs, étonnés et perdus en se regardant. Les yeux scrutateurs aussi de Valérie… Chantal a dit hier soir, en rentrant du dîner : je crois que cela va aller avec Julie, quelques mots mal bâtis pour se rassurer, elle doute parfois Chantal il faut le reconnaître, mais je suis comme Valérie je ne sais pas si ça va aller comme dit ma femme, hier soir Valérie elle la cherchait Julie, elle essayait de savoir, elle ne pouvait rien changer, elle était là Julie, il fallait trouver comment faire avec elle, mais c’était un peu trop rapide, d’ailleurs comment savoir, elles se taisaient toutes les deux Julie et Valérie, Martin aussi d’ailleurs, il avait vite regardé et accepté Julie, il n’avait pas le choix lui non plus mais il faisait confiance, après quelques mots d’accueil poli il ne lui parlait plus, il avait déjà accepté la proposition de Chantal il n’y avait rien de plus à dire, surtout à ce moment là, pendant ce dîner, il suffisait de deviner comme on pouvait en écoutant les autres, ils se parleront ce matin je pense, et dans les yeux de Valérie il n’y avait pas de demande là, juste de la curiosité, pas de prière non plus quand elle regardait son père, elle ne pouvait plus rien Valérie, il partait, non, pas de prière, elle cherchait seulement son attention, pour elle et pour son frère, elle ajoute toujours l’idée de son frère, Valérie, comme si elle en était responsable, comme s’il était son prolongement. Il le faut simple son violon, elle débute, mais il faut que je trouve un bois qui chante à ses yeux, c’est drôle je ne suis pas étonné de ce désir qu’elle a eu et de sa constance, le savais que c’était pour elle le violon, avant même que son professeur m’en parle, dise qu’il est content, qu’elle s’applique et que sans doute elle jouera bien, même s’il ne sait pas si ce sera mieux que bien, il dit qu’on ne sait jamais, ou que lui au moins ne sait jamais, il dit qu’il n’est pas assez bon musicien pour cela, ou assez bon professeur, moi qu’il soit bon professeur je ne sais pas, mais bon musicien si, il l’est je trouve, pas virtuose non, pas exceptionnel, mais il a la musique en lui mon ami, assez d’ailleurs pour douter un peu et pour leur donner envie aux enfants. Martin était fier, il l’écoutait s’exercer, il le supportait sans rien dire, en souriant parfois, c’est sa façon de parler, c’est un taiseux Martin, comme son père, comme moi selon Chantal, sommes tous des taiseux les hommes dans cette famille, elle n’a pas tort Chantal quand elle dit que nous leur laissons tout le travail à elle et sa mère, elles disent ce qu’elles pensent le vrai, elles guident le réel et nous nous parlons en silence, pas sûr que nous disions plus le vrai qu’elles, d’ailleurs, personne ne peut dire le vrai c’est trop grand et flou. Mais pour guider ça elles savent, ou le croient, et nous les laissons faire, c’est plus facile, enfin Pierre-Jean, mon beau-père, il laisse parler et il fait ce qu’il veut, il prend l’air grave ou il sourit des yeux et sa femme comprend, au fond moi aussi suis un taiseux parce que c’est plus facile mais quand il le faut… et Chantal a compris hier quand j’ai suggéré que je ne pensais pas vraiment sage et utile qu’elle fasse un saut, comme elle dit, pour voir comment ça se passait ce matin l’entente entre Julie et Martin, l’entente entre Julie et les enfants, elle les aurait noyé de paroles, Chantal, et de bonnes intentions, d’autant plus de paroles qu’elle est inquiète, elle se sent responsable, comme toujours, mais elle ne peut pas s’empêcher d’intervenir, Chantal, c’est sa façon d’aimer. Julie elle, elle a la parole rare, elle n’est pas une taiseuse mais elle aime écouter, elle aimait l’écouter surtout lui, Luc, il faut dire qu’il parlait bien, je l’appelais « bouche d’or » parce qu’il aimait ça et que nous aimions l’écouter, enfin elle, elle l’a aimé tout court et moi je n’avais plus qu’à les aimer tous les deux jusqu’à ce qu’arrive Chantal, son sourire, ses grands rires, ses mots et sa décision et qu’elle m’embarque, qu’elle me fasse lui dire je t’aime, je crois que je l’ai dit, l’ai pensé en tout cas, et qu’elle et nos mères enclenchent le bazar du mariage, que je ne sais trop comment je me retrouve avec le projet de cet endroit, parce que je n’ai rien eu à faire, je n’ai eu qu’à regarder avec un air sérieux, qu’à dire oui, je n’ai presque pas eu à dire ce que je voulais, mais pendant tout ce temps, pendant que Pierre-Jean faisait le nécessaire pour récupérer la boutique et l’appartement, pendant que Chantal et nos deux mères – la mienne suivait mais savait dire son mot, dire ce que je voulais c’était évident, elle savait, et moi je m’en moquais – pendant qu’elles lançaient le bazar de notre mariage il y a eu ces mois agréables où nous faisions un beau quatuor, les jeunes comme ils disaient, pas si jeunes en fait, un bel ensemble, les idées de Luc, l’entrain de Chantal et nous deux, Julie et moi, qui suivions avec reconnaissance en riant. Moi je pensais j’ai de la chance, comme ils le disaient tous, d’ailleurs tous, mon patron aussi qui me disait qu’il était triste de me voir partir mais que j’étais prêt, travaillaient à ma chance ; moi j’avais peur bien sûr, ne le disais pas, mais j’avais peur parce que… irruption des voix de Chantal et Karima depuis la boutique… n’ai rien fait moi, ou pas grand chose… les saluer, choisir mon bois..
codicille : ma foi je crains que ça ne vaille pas grand chose, me suis trouvée emportée à chaque tentative, pas eu courage de couper trop, recommencé et recommencé à me laisser emporter, je coupe avant d’en arriver à ma vague idée d’origine (mais je l’aimais bien le Jean, pas facile de lui couper la parole)
Pour l’image je l’ai piquée sur Wikipedia
J’ai bien aimé. Bel exercice d’effondrement par relations familiales. L’idée est simple et je trouve que ça marche bien.
MERCI !
mais pourquoi couper ?
j’étais partie pour dix pages 🙂
François en réclamait 400 !!! ahahah
je n’obéis pas !