Elle note les affiches du moment, port du masque obligatoire, gestes-barrière à observer, protégeons-nous les uns les autres… toilettes fermées, accès interdit, et merde, elle a envie pressante de pisser… Putain, même pisser devient compliqué, portes closes, indisponibles les WC ! Putain, c’est pas trop, oui, notre vie ne sera plus jamais la même. Le, non la –- l’Académie française a opté pour le féminin – la covid a bouleversé notre train train. Même notre vocabulaire s’amplifie autour de la crise sanitaire, de la pandémie. Une vague, un pic, un tsunami, un coup de tabac, un serpent de mer, une tourmente, une hécatombe à venir. Une guerre de tranchées, c’est à la guerre comme à la guerre. On est à l’os, on n’est pas sorti des ronces. Check / shake : on se checke, poing contre poing, pied contre pied, coude contre coude. Checke-moi, j’ai soif de contacts humains. Allons, respectons la distance réglementaire. On ne checke plus ! À l’heure de la chloroquine, on est tous infectés, tous des contaminants, tous des infectiologues. On est réuni autour d’une fontaine-colonne de gel sans contact. Sans contact, évidemment ! Respectons nos distances. Adoptons les gestes-barrières. Jouissons. De loin… Une merveille, cette station de désinfection, barrière inexpugnable efficace contre tous les virus et micro-organismes. Finis les germes, liquidé le danger de contamination. La vie est belle, jouissive, ouverte à tous les possibles. À défaut de nous serrer les mains, serrons-nous les coudes, protégeons-nous. Partageons un café, pas les virus. Avant, il y avait des fontaines dans les rues pour boire et se laver les mains. Grâce à la Covid, nous avons les fontaines de gel sans contact. Bénies soient-elles, toutes deux ! Youpi !
Elle actionne la pédale. Elle se marre : elle ne s’est jamais lavé les mains aussi souvent de sa vie. Et en observant la bonne technique, pas moins de 30 secondes, sans oublier le bout des doigts, les jointures, les poignets, là où se cachent les germes pervers ! Pour nous préparer aux confinements-déconfinements, on pense à nous, nous avons à notre disposition le gel hydroalcoolique à l’entrée des milieux urbains : école, métro, arrêts de bus, hall, entrées, aéroports, quais de gare, centres commerciaux, salles de sport, commerces extérieurs, bureaux. Et cet outil adapté en tant de crise sanitaire : la Fontaine à Gel Hydroalcoolique, produit haut de gamme conçu pour les lieux publics intérieurs et extérieurs qui présente de nombreux atouts… Nous voilà préparés, préparés à quoi ? Un changement, on nous dit que notre vie ne sera plus la même le jour d’après, d’après quoi ? La fin de la pandémie ? Ça me fait rigoler. Alors, l’épidémie jugulée dans notre petite France nombriliste ? Oui, on nous dit que tout va bien aller. 68 % de la population vaccinée, génial, mais on doit faire mieux ! On va atteindre le seuil symbolique des 50 millions de premières doses, mi-septembre peut-être. Les autres, les sous-développés, les qui font trop d’enfants, qui souffrent de la guerre, de la famine, de l’exil, on s’en fout ; les Européens on se serre les coudes, enfin, faut voir, jusqu’à quand… Tout va bien. Nous sommes protégés. Bon, nous avons fait des erreurs, tout va changer. Et on nous renormalise. On garde les mêmes habitudes, on veut le même confort de vie, on est compétitif, on avance sur la route du progrès, du libéralisme, on fait dans le télétravail, l’état s’occupe de nous. Peinards. Et moi, je suis le mouvement, je fonce dans le mur, mais j’obéis. J’ai peur. En ce temps de contamination, je m’aperçois que je laisse tomber souvent des affaires au sol. Ce sol qui pourrait être contaminé – une cuillère, un bout de pain, mon crayon, une écharpe… Que dois-je faire de ces choses-là ? Comment les utiliser, les stériliser ? Questions fugaces qui me traversent. Une seule solution : prêter attention à tout, ne pas toucher les poignées, la rampe d’escalier, le plan de travail… Merde, me laver les mains. Merci à la fontaine à gel rassurante qui trône en ce lieu désert, dans un silence total, un désert, ça me reprend, ma peur devant l’après, le désastre écologique à venir, l’effondrement de nos sociétés. Fracassée par l’incertitude. Et dans ce vide je pose la question qui fâche : vous êtes vacciné ? Allez vous faire voir, c’est mon droit, mon secret, ma liberté, de l’être, de ne pas l’être, j’ai le choix, je n’ai pas le choix, je suis acculé, je suis contre, je suis pour… Tiens, ce matin, devant la boucherie, une femme, chevelure grise ébouriffée, lit les consignes : pas plus de 2 personnes à la fois dans le magasin, merci… Elle gesticule, elle hurle : La parano, c’est la parano. Tous des mal baisés. Le gouvernement, les commerçants, vous. Des mal baisés. Des moutons. La démocratie c’est foutu. C’est la dictature. Tous des mal baisés… Elle arpente la rue, se rapproche des rares passants qui reculent. Elle reprend de plus belle : C’est la parano, tous des mal baisés… Pas loin de parler de complot : entendu l’autre jour dans un bistrot un homme déchaîné qui expliquait que les lieux médicaux et les entreprises pharmaceutiques s’organisaient entre eux pour gagner du fric, un maximum de fric sur notre dos et qu’il ne fallait pas se faire vacciner, non surtout pas, ça rentrait dans leurs caisses, leurs poches, riches toujours plus riches qui se gavaient de notre sang et amplifiaient leurs revenus. Ça me terrorise, l’industrie pharmaceutique mondiale diabolisée, les ONG, le monde politique, tous dans le même sac de cupidité. Je n’y crois pas, et si c’était vrai ?… C’est ça, comme on dit : je ne crois pas au père Noël, mais quand même ?… Et ma voisine qui s’inquiète : ils (qui ça, ils ?) m’espionnent, ils savent tout de moi, tiens avec le carnet numérique qui est censé permettre un retour à une vie plus normale, allons, la bonne blague, et mes données personnelles alors disponibles pour tous, pas protégées ? Ça me fout l’angoisse, incapable de raisonner logiquement, quand je tendrai mon portable à un restaurateur, un vigile, qu’est-ce qu’il saura de moi ? Que lui répondre : une solution, cassez votre portable, il est facile de vous localiser, avec un logiciel d’espion, ben oui, c’est la réalité, s’agit pas d’un gadget utilisé par James Bond ! Et l’application «tous anti Covid » , avec son QR code – ça s’installe pour, on nous dit, sécuriser les déplacements en Union Européenne, pour notre libre circulation, ben oui, sous surveillance ! Je l’ai pas rassurée, ma voisine !… C’est que, putain, je viens de lire un article sur la Chine du Sud, plus de 800 écoliers portent des « uniformes intelligents ». Deux puces équipées de GPS, cousues dans leurs vestes, permettent de pister leurs allées et venues et alertent les enseignants et leurs parents s’ils sèchent un cours ou ont une arrivée tardive. Œil de Pékin omniprésent… Ici un jour ? Ça y est, je deviens parano. C’est ce sentiment d’irréalité, cette morosité du moment, ce poids de l’incertitude sur les conséquences de l’épidémie dans tous les domaines, sanitaires, sociaux, économiques, écologiques, au niveau local, au niveau mondial, sans oublier la dégradation de notre planète-terre qui nous prépare à des catastrophes.
Elle tourne en rond dans la pièce vide, s’approche de la fenêtre, dans la cour de l’école des enfants chantent une ritournelle. À la claire fontaine M’en allant promener, J’ai trouvé l’eau si belle, Que je m’y suis baignée. Je tourne en rond dans ma tête, je ressasse, je me perds, je tourne en rond autour de la Colonne à gel, envie de la casser, je navigue à vue, pas de réponses aux questions qui me stressent : pour nous, pour nos enfants, comment cela se passera-t-il dans le monde de l’après ? De combien de temps aurons-nous besoin pour retrouver un semblant de normalité ? Un retour au monde de l’avant est-il seulement envisageable ? Et si on reconnaissait que les théories scientifiques, les dogmes des religions, les discours politiques ne sont pas absolus mais doivent évoluer, bouger… Bon, marre de ressasser, je me casse, sortir de ce lieu, respirer l’air frais, boire l’eau de la fontaine sur la place. Faire mienne la phrase de Samuel Beckett : « Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter »
rassurant – nous ne sommes pas tous consentants – chanter, oui, et vivre, quelle affaire …! « aime enfin les arbres » disait Léo… (jamais rien ne sera plus jamais,mais jamais, comme avant – comme d’habitude, si tu veux voir…) (merci, chante bien) (avec toi)
Merci Piero, vous m’avez fait partir 40 ans en arrière, j’ai retrouvé Ferré sur YouTube. l’écouter a été un coup au cœur. lui le visionnaire, toujours d’actualité, il n’y a plus rien du côté de l’espoir, utopie en berne. Plus rien, vraiment ? non, je rêve d’un monde meilleur. Je l’ai écouté au théâtre Toursky de Marseille une dizaine de fois, quand je suis nostalgique, je l’écoute. c’est loin tout ça, mais retenir ce qu’il clame : « le désordre, c’est l’ordre… moins le pouvoir. » Belle journée au soleil, près d’un arbre, d’un ami…