Assoupie vient la boutique de Kalliroï présentoirs de fortune pièces uniques parfois orphelines dépouillées de leur alter comme cette boucle de cuivre tressé ressort tendu à l’opale enchâssée la boutique est étroite encombrée pas de mot pour dire cette luxuriance de rouille et d’éclats curieusement on respire chaque objet est une porte antique tenons-nous le pour dit Kalliroï est sans pareille trois ans que je n’ai pas vue et elle me reconnaît cherche à baisser le son du transistor déphasé où grésille la voix d’une autre sorcière une voix de feu de camp sauvage à incendier une nuit sans étoiles Kalliroï se trompe de sens la voix hurle a capella et elle ne s’en aperçoit pas m’étreint comme une sœur perdue m’enveloppe de ses yeux combustibles ses R roulent du charabia tripote le transistor dans le bon sens jure parle d’une chanson qui parle de chevaux retourne à son établi et comptoir fils de fer cuivrés perles éparpillées euros martelés c’est interdit hein attrape sa pince coupante et tortille ses fils à une vitesse prodigieuse Et apportez-moi mon cheval qui avale les pierres sûrement une chanson de mille ans on la croirait folle elle l’est peut être ses doigts tordent et coupent marmonne des mots indistincts sourit je ne comprends rien vertige de la langue inconnue de sons blancs de sens pleine de roulades de nasonnements de gorges crépitantes accents graves et clapotis grésillements pétarades mouillures I don’t understand Kalliroi tourne vers moi son iris citrine elle a perdu ses papiers d’identité et c’est toute une histoire avec la police locale obligée de retourner à Héraklion justement difficile de quitter l’île sans papiers tintement d’écailles téléphoner encore et encore au consulat les papiers attendront la mauvaise saison il y a trois ans c’était une dent recollée à la colle à bijoux tout une histoire aussi dentiste effaré Kalliroï gonflée trifouille dans un coffret aux senteurs d’ambre perles crémeuses torsades serpents fibules face à elle se trouver claire et vierge comme une feuille de papier naître hier ou peut-être demain la boutique de Kalliroï c’est Kalliroï diablerie du désordre et de la folie vive prodige des doigts qui bougent tout seuls Kalliroï est un lierre mange l’or mange la pierre je ne suis pas d’ici et pourtant je suis d’ici la nostalgie n’obéit qu’à ses propres lois Apportez-moi mon cheval qui marche sur le marbre et ne laisse pas de poussière
Cette Kalliroï, quel mystère, quelle ensorceleuse avec ses yeux citrine, peut-être même quelle diablesse ! Elle est insaisissable et cependant omniprésente – un lierre qui mange, qui dévore, ne fait qu’une bouchée de… Le texte est truffé de perles, les sont à peine nécessaires, les pauses sont partout pour tenter de percer le mystère… et quelle adéquation entre le personnage et l’écriture – bref, je me suis régalée !
Christiane Mansaud, vous me faîtes infiniment plaisir ! Merci