Elle (mon personnage-mystère) s’émerveille : le parfum des lilas resurgit, tel autrefois dans le jardin de sa grand-mère. C’est elle, c’est moi à travers elle, qui s’émerveille ?
Je laisse place à Pascal Quignard. En 2002, dans son traité Sur le Jadis, il écrit :
« À chaque saison, lors de la contemplation de ce qui resurgit, l’âme récapitule. Le corps repasse dans la mémoire qu’il a conservée de ses états tous les moments précédents, à la même époque, ainsi que les circonstances qui les accompagnent et cela nous plonge dans un sentiment qui nous paraît tristesse mais qui est profondeur. Chaque bourgeon de lilas est revisité de tous les lilas vécus antérieurement. Chaque feuille nouvelle renouvelle tout. »
Il le dit mieux que je ne saurais le faire… De ces lilas, je m’émerveille. Je les respire. Oui, le jadis resurgit, il me réconforte, il est jouissance, retour à un autrefois que j’aurais pu croire oublié, qui est vie ancienne, cachée, secrète en ma mémoire. Une révélation. Près de moi, ma grand-mère, présente, absente, une apparition dans le renouveau de ce printemps. Je suis dans la joie du passé, je suis dans la joie de l’instant Le passé surgit, m’envahit. L’autrefois afflue, je suis dans la joie de son royaume, il me projette en avant, me fait avancer, m’ordonne d’écrire les mots qui diront les parfums, les lieux, les visages-fantômes, les inscrire dans et par le langage. Retour des images du temps d’autrefois projetées sur le temps d’aujourd’hui. Un autre regard, le même pourtant.
Non, je ne veux pas faire ma savante, je me sais maladroite, mais j’ai l’envie de citer un passage de Proust dans Le Temps retrouvé que je comprends dans sa grande simplicité
(…) entre le souvenir qui nous revient brusquement et notre état actuel, de même qu’entre deux souvenirs d’années, de lieux, d’heures différentes, la distance est telle que cela suffirait, en dehors même d’une originalité spécifique, à les rendre incomparables les uns aux autres. Oui, si le souvenir, grâce à l’oubli, n’a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s’il est resté à sa place, à sa date, s’il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d’une vallée ou à la pointe d’un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus. )
Je respire le parfum des lilas d’un paradis perdu, celui de l’enfance. Le printemps prochain, ce sera la même joie, la même mélancolie de le retrouver.