Avant d’arriver à L’Albenc, elle a fait un détour pour aller à Saint-Quentin-Fallavier près de Villefontaine. Elle n’a pas obtenu un droit de visite et se gare comme tous les visiteurs le long de la route. Elle ne pourra pas rentrer mais elle le connaît ,lui qui est là derrière les murs il a l’âge de ses enfants et ils échangent des courriers. D’où lui vient cette obsession de la prison, comment peut-on la supporter, elle est toujours là en elle depuis le Chili sous Pinochet l’Argentine et ses folles de la place de mai, elle sait tous les pays en guerre, il y a plus de temps de guerre que de temps de paix dans le monde, ça étreint et ça s’accumule tous ces livres et journaux lus sur les poursuites, tortures emprisonnements ça perce en elle tantôt un tunnel camouflé par tant d’occupations tantôt une route à ciel ouvert quand elle entend les derniers mots de Salvador Allende et qu’elle voit les hélicoptères qui jettent à la mer les jeunes hommes plombés d’un bloc de ciment, et les jeunes femmes de même qui viennent d’accoucher ça creuse depuis longtemps en elle la prison. Il arrive menotté s’assied sur un banc il attend le temps ne passe pas dans ces endroits-là il ne passe pas non il attend sur son bloc de ciment le même bloc que celui attaché aux pieds des jeunes tu bouillonnes comment penser avoir une image de cela tu n’as pas d’images tu as le coeur atrocement serré. Il regarde une affiche information aux personnes incarcérées sans la lire, bien sûr il y aura la fouille intégrale à peine dissimulée derrière un rideau les prisonniers politiques ont eu doit à la même, une fouille au corps ce geste si intime là dans une situation insupportable la nudité du corps humain ils en ont connu d’autres versants tellement désirables. Lui il bloque tout dans sa tête lorsqu’on lui demande de décliner son identité ah voilà même ça ils le prennent ils prennent tout. Tu sors de là dépouillé de tout, ce que tu cherches dans la vie mais volontairement par choix une vie plus simple plus soucieuse des autres qui n’ont rien t’est imposé tu es contraint stupéfié tu fais tu ne discutes pas, pourquoi faire ? le registre alphabétique est bien rempli tout est bon toutes ses affaires personnelles dans un casier L, il a reçu son paquetage tout est écrit noté une trousse d’hygiène contenant une trousse à fermeture éclair une savonnette un flacon de gel douche de deux cent cinquante millilitres un flacon de shampooing de deux cent cinquante millilitres un tube de dentifrice une brosse à dent deux rouleaux de papier toilette deux mouchoirs en papier un peigne un coupe-ongle sans lime un paquet de cinq rasoirs jetables un tube de crème à raser de soixante quinze millilitres cette trousse est renouvelée tous les mois pour les personnes privées de ressources suffisantes, pour être rangé, c’est rangé, dans la vraie vie il n’en fait pas autant. Et toi tu penses aux prisonniers en Turquie en Iran que leur donne-t-on ? Après c’est l’entretien d’accueil pour lui. L’accueil c’est habituellement un lieu chaleureux une chambre pour discuter avec l’ami un café où on se retrouve c’est prendre dans ses bras le copain revenu lui. Ici, l’accueil c’est surtout savoir s’il y a un risque de suicide une maladie à noter la situation familiale et juridique un parcours pénitentiel antérieur on lui donne un guide du détenu une plaquette d’information de dix-huit pages à déchiffrer trois timbres trois enveloppes un bloc de papier un stylo. Elle a lu combien de récits ou romans sur la prison où pas de papier pas de stylo rien, l’iranien Seyyed Ebrahim Nabavi, « Couloir N°6, carnets de prison » écrit un Kashkool, poèmes, blagues citations chansons pour le moral des autres pour ne pas sombrer, et Germaine Tillon dans la prison de Ravensbrück qui écrit avec les autres clandestinement « Le Verfügbar (c’est à dire la place des détenues affectées nulle part) aux enfers » où elle raconte leur quotidien et la violence avec humour en détournant des airs d’opérette pour les faire coller avec ce qu’elles vivaient dans le camp, on y trouve des chants scouts Phiphi de Christiné trois valses de Strauss Tino Rossi et de la publicité, pas pour être joués mais pour l’acte de résistance et d’impertinence face aux violences de tous les jours elle voulait faire rire les autres, leur lire le soir à voix basse ce qu’elles avaient écrit dans la journée pour échapper à l’enfer. Lui il aura parcouru des centaines de mètres de couloir, il ne saurait en refaire le descriptif comme ceux qui ont su s’échapper, ils avaient la carte détaillée de la prison les horaires des gardiens comment ont-ils faits ? oui des centaines de mètres de couloir avant de rentrer dans la cellule elle a deux lits superposés un sol en résine grise le coin toilette avec néon une fenêtre d’un mètre sur soixante centimètres des barreaux espacés de treize centimètres deux prises de courant deux tables un téléviseur une penderie dont la barre a disparu. Ils ont fermé la porte derrière lui. Il reste longtemps assis sans pensées abasourdi. «Je ne reverrai plus le monde» a écrit Ahmet Altan. Comment peut-on supporter la prison? Un choc au moment de la toilette face au lavabo il lève la tête « Mon visage avait disparu » rien, il n’y avait pas de glace. « Il leur avait suffi de nous enlever les miroirs pour nous éliminer » Comment est la vie dans ton bateau? demande-t-il à son codétenu, capitaine de sous marin, Pire qu’ici! « il avait l’habitude d’être confiné dans des lieux clos et étroits là où le temps disparaissait dans un nuage de poussière». Debout, visite chez le docteur, j’allais revoir le soleil ? mais un trouble le saisit, il ne voulait plus sortir dehors comme si la lumière et le soleil allaient détruire son nid, « Je n’avais plus la force, je n’ai pas eu le choix » .
{Codicille. j’ai lu et relu les extraits de Jean-Paul Goux, partant des petits immeubles à quatre étages, leurs portes leurs couloirs, rentrer dans la blanchisserie jusqu’aux journaux leurs paquets, leurs plis, les rabats…longue description d’une étiquette. l’affiche du P.C. et Mitterrand, le café avec les copains puis le départ du collage d’affiches jusqu’à finir leur pot de colle et rentrer dans les maisons pour convaincre, les sonnettes leur forme leur son, longue description des appartements et des discussions, pour s’apercevoir, arrivés en haut qu’on vendait les mêmes journaux et tracts en des centaines de points de la ville et devant des centaines de bouches de métro, c’était la même chose sous la pluie d’hiver. Et j’ai cru travailler sur ce risque de la voix qui déplie, examine, qui traverse qui continue. A mesure que je tapais mon texte, je voyais qu’il était tout faux, que ce n’était pas du lyrisme, que je n’avais pas su développer ce que je voulais, pas de progression mais des empilages, mais il est tard, il faudrait tout recommencer, je l’envoie mais il faudrait du temps, beaucoup pour atteindre le but }.