Cil un cil souple révélé, repris le cil, levé de bas en haut, cil relevé bout du crayon, la pâte enveloppe englobe l’œil, matin 4h30 suis levée, faste de la nuit, suis seule l’infirmière, défastée de nuit à la fenêtre, béatitudes du soir quand j’écoute la musique à la fenêtre jusque près d’une heure trente, peu raisonnable infirmière, l’esprit déambulant dans la rue qui tombe à pic dans la mer. Exactement comme. Elle se souvient de cette vue plongeante sur la mer du Sud, voilà que lui revient ce passage d’un film, tandis que le crime se commet, la rue soleil tombe à pic dans la mer éblouissante, L’armée des ombres juste un plan, en plongée la ruelle de soleil, la méditerranée, et puis le jeune accusé de trahison, qu’il fallait étrangler dans une maison, soleil méditerranée, crime insoupçonné. Se souvient. De la nécessaire main enveloppante de la glaise autour des yeux, pour limite, noire ouvrir correctement les yeux, ne pas trop voir, être issue d’une ligne médiane, l’inépousée d’Œdipe, la fleur penchée de l’ombre. Tout reprendre : col relevé, déshabillé de lin sec, le nez couvert de tulle, sera la mariée noire, le feu décapsulé, la cendre en cheminée, corps en jachère, la vie programmée 4h30, personne ne sait, quand on se lève réveil normal 6h30-7h, personne ne sait pour aller travailler, à part les vieux qui ne dorment plus guère. A part les vieux qui frôlent la nuit d’un bout d’aile cassée, se fondent en murmures dans le coffret des salles de bain communes, ma salle de bain diurne, à frotter les yeux d’une petite vie discrète, ne ferait jamais d’ombre jamais sur terre, jamais d’enfant jeu marionnette, argile infertile dans le ventre comme un bloc de mots dont on a coupé le temps. Serait finie, mais si la rue n’existait pas. Et ce matin, j’ai relevé l’imperméable en marchant sur les fenêtres, les pas remplis d’eau lourde, y faire mon chemin, cinq heures dans le visage et les mains, douceur infertile des embruns, tu auras beau frotter le ventre avec l’ortie et la gentiane, éther aux antalgiques puissants ballet d’odeurs, encapsulées dans chaque cellule, les chambres du premier étage, et pourtant le cri de faim dans le ventre, m’endormir serait la délivrance, empaqueter les ventres, y infuser l’amiante des eaux d’un lac, faire que tout se fige, s’ouvre et s’aère comme une fenêtre dans un sous-sol, malgré l’humidité malgré les armes de la honte, qui te font tenir droit. Froid, regain de froid au lent matin pris dans la brume. Me dis que je pourrai revoir, parler, faisceau de lumière, cet infirmier faisceau de joie, histoire peupler nos zones d’ailleurs, voir en partage, et partager ce qu’on a vu. Le livre cogne contre la hanche, Y penser sans cesse doux talisman, peupleur d’hivers, lire et relire, tout désapprendre, se réchauffer au coin d’un mot. Suivre avec le doigt. Elle se le dit, et se le disant en marchant, suivre avec le doigt, en marchant dans le froid, elle voit cette chose un peu bondir se relever sur le trottoir. Une flaque s’envase vers le haut, chose qui remonte du trottoir. Elle crut à un chat échappé d’une cave en contrebas. C’est une chose battante avec des bras et cela reste sur le trottoir. Elle voit en contre-jour mais en basculant sur la chaussée la lumière a tourné, là elle sait ce qui se trame sur le trottoir. A m’approcher je sens le choc, je vibre un peu mais lâche rien à l’intérieur, le cœur serré en cas d’urgence, ce qui viendrait devrait être parfaitement pris en charge, parfaitement syncopé dans le cœur, la tête et les mains froides, les gants plastique autour des mots, oxygénation du cerveau, c’est battant chamade qu’elle se saisit de ce qui bouge là-bas trente mètres au plus sur le trottoir. Une corde vieille et relâchée, la laine rebique, corde de jute échevelée, noue les sacs de pommes de terre. Au bout, les hanches d’un enfant. Lui donnerait deux ans. Il joue par terre à la fenêtre on tire la corde, la rue attelée à l’enfant, soudain le cri brut qui décroche le cœur, fait claquer toute la rue. Voix rauque dévaillante, crue rouge, voix d’écorchée, le foin dans les artères, la mère est la gueulante, la grotte ouverte par où hurle le soupirail, l’ombre et l’humide piégés dedans. Cri de la mère. L’enfant ronge la corde avec la bouche de travers, glissant ses pieds dans un nœud fabriqué au hasard, ouvre grand le froid fait des plaques sur les tempes et les lèvres luisantes et la buée, les yeux tournent, font un tour complet de la rue, la couche autour des fesses remonte jusqu’au milieu du dos, débordant d’immondices qui tachent les épaules. Elle est figée, l’infirmière. Plus rien ne bouge en dedans. La bouche suce la corde, les pieds s’agitent en l’air, les longs cris d’humubilis qui sortent de la trappe. Elle avance la voix comme une craie. Coucou. Coucou toi. Ça va toi. Coucou, l’améthyste Daquin, mélodie mélancolieuse. La voix craie fait un pas septentrional, la braise d’une lèvre qui pousse sur le pavé, prosopopée du froid, l’enfant s’est retourné par à-coups cogné sa bouche sur le trottoir, lèche un grain de bitume, son eau de pluie peut-être, avance un peu, soleil du nord, je te remplace à la lumière, tempe étoilée, regarde-moi, tu n’entends plus le cri des mères, il tombe dans la glaise, et toi je te soulève. Elle a saisi l’enfant d’un seul plié courbé contre la chair battante du cou, dénoue le lasso autour des hanches, le corps est tout léger, fumet de pourriture exhalaisons d’entrailles, la joie coup dans le ventre, friture de seigles, pourriture joyeuse, se place dans le couloir, peut-être rentrée à l’intérieur, a pu demander si tout va bien, peut-être appelé des services, l’ambulance à facettes, peut-être a réclamé de l’aide, le corps en manchettes bien placé pour savoir comment agir aux extrêmes, en dernier recours, le corps sait faire, geste tracé d’avance, les numéros d’urgence. Mais n’est pas rentrée dans le couloir, les quatre portes closes, le cri stratosphère. N’est pas rentrée par la fenêtre du soupirail. N’a pas jeté l’amarre – l’assaut de la victoire.
Elle a saisi la rue avec enfant. S’est mise à courir tout à travers la ville, corps chaud tout plein de ventres, c’était cinq heures battantes.
C’est un beau texte qui ne se donne pas d’emblée enfin à moi, mais il est puissant, tranchant, plus long poème de par sa forme. Toute la partie cil m’a fait penser au sourcil de Milene Tournier en vidéo je crois. Relu et c’est la même histoire que j’entends, bouleversante. Merci, Françoise.
Merci infiniment chère Anne, je découvre très émue votre message… ce texte est comme un monde enfoui… Et je ne connaissais pas cette vidéo de Milène, que je vais m’empresser d’écouter… Pourtant je regarde très régulièrement ses films, vous avez des antennes de lynx 😊 à très vite, j’irai danser au bal de vos mots demain à la nuit tombée