Au moment où le train déraille, nous sommes encore dans l’enthousiasme de la découverte. Il y a eu les parfums de l’Afrique, forts et musqués, dès l’aéroport de Bamako. Il y a depuis, bien sûr, la présence permanente de la chaleur, l’impossibilité de trouver encore les vêtements qui s’y adaptent. Dans le train, ce sont les conversations. Elles bruissent de langues nouvelles, quelle exploration promise !
Et puis le train déraille. Nous sommes deux à craindre de boire de l’eau pas assez propre. Alors nous ne buvons plus. Le soleil, lui, continue de chauffer. Le copain résiste mieux. La faiblesse me prend. Heureusement qu’il y a un taxi-brousse disponible vingt-quatre plus tard. Pendant le trajet cahoteux vers Tambacounda, le copain me fait parler de ce que j’aime. Je reste ainsi animé à partir de ce que j’ai laissé en Europe. A Tambacounda, Arona est là avec sa mobylette. La jeune femme médecin française de la case des Volontaires du progrès a l’idée du rapatriement sanitaire mais Arona insiste et je lui fais confiance. Le copain part de son côté vers Koar avec Baganda et je m’accroche comme je peux à l’arrière de la mobylette d’Arona pour aller à Sabi. Vingt-cinq kilomètres, tout un monde à découvrir. Dans l’état d’un bébé. La langue nouvelle va ainsi pouvoir poser en moi ses jalons. A tout jamais.
Kiliŋ. Je vois une main ouverte dont le petit doigt se replie. Une façon nouvelle de compter.
Wuro. Le premier matin, on m’a fait me lever et la calebasse fumante est apportée. Il y a là de la bouillie de mil très chaude, du lait caillé, du sucre. C’est le petit déjeuner. Wuro.
Kalama. Ça, c’est l’instrument dont on se sert pour boire la bouillie. On me le répète gentiment au bout de deux ou trois jours, quand je suis en état de la soulever pour m’alimenter tout seul. Une coloquinte coupée en deux et évidée.
Tanante. Il y a d’autres mots autour mais celui-là revient souvent. Les gens me le disent, il faut que je le répète. Je découvre que ce jeu de répétitions croisées et agrémentées est la façon de se saluer ici.
Buŋ. C’est le lieu de repli qu’on m’assigne parfois quand je parais encore trop fatigué. Une case carrée aux murs en ciment gris.
Sooto. On y va pour la douche ou pour les besoins. Au fond d’un corridor de kinrintiŋ, de nattes dressées en clôture, il y a un trou creusé dans le sol et de vieilles boites de conserve qu’il vaut mieux remplir d’eau avant, si l’on y va pour les besoins.
Dimbaya. La famille. Je l’ai compris par agrégation progressive d’une mère Na, d’un père Baba, de grands frères dont Arona et Ousmane kotokee, de petits frères dont Boke et Bakou dookee, de petites sœurs dont Maïse et Fatou doomusoo. Les grandes sœurs, Diawaro et Nyényé, sont mariées ailleurs, à découvrir plus tard. Les autres, pour le moment, m’entourent. Ma seconde famille depuis ma naissance.
Baabudu. C’est désormais mon nom. Mon nom ici.
Kononto. Une main a ses doigts entièrement repliés. L’autre n’a que le pouce tendu. Tout va bien. Neuf. J’ai retrouvé mes forces. Cela fait neuf jours que je suis né. Pour la seconde fois.
Plonger dans l’ailleurs en renaissant avec vous de cette grande peur, très doux,
que c’est bien ce voyage à partir des mots d’une autre façon de vivre
Ce voyage dans les mots effectivement, mieux qu’une exploration dans l’espace.