J’ai l’impression quelquefois, d’être au seuil d’une maison des mots, je pourrais entrer, j’en ai peut-être le droit, mais je n’entre pas. Est-ce que j’ai peur, je ne sais pas. J’envie ceux qui sont chez eux dans cette maison, j’ai toujours cru que le monde se divisait en deux catégories, ceux qui entre de droit dans les maisons et les autres qui se frottent les pieds sur le paillasson, hésitants, je suis dans le camp des autres. Je me rends compte avec le temps que la confiance en soi est une denrée rare. Je n’en veux à personne, je crois que l’on se fabrique autant que le monde nous fabrique, alors devant mes failles je ne peux que m’en prendre à moi-même. Je vais peut-être entrer un jour, mais par la fenêtre.
Je n’écris plus, les mots me semblent inutiles, tout ça pour ça. Ils ne répareront jamais rien ces foutus mots, il n'y a aucune vie dans ces foutus mots. Je devrais jeter tous ces cahiers plein de gribouillis. J'en ai marre du soliloque, je n’ai plus l’envie de rien, je ne sais pas comment à fait ma grand-mère, continuer, continuer, un, deux, trois, et on continue. Qu’est-ce que je fais là, ils me remplaceront sans aucune difficulté, tout ça c'est du vent.
Je les entends, à chaque fois c’est la vie que j’entends. Ils sont là derrière le mur, je pose mon cahier, et je vais les chercher dans le couloir.
— Bonjour les enfants,
— Bonjour Monsieur,
Ils entrent, bien sûr quelques mamans veulent me parler, rapidement, elles sont pressées, nous on est trente à attendre qu’elles partent, on va patienter. Il me regarde, il a l’air détendu. Je vais en profiter.
Je les entends, je vais faire semblant, pour eux c'est mieux. Je me lève et je vais les chercher.
— Bonjour les enfants—
Bonjour Monsieur
"
Ils entrent, bien sûr quelques mamans veulent me parler, rapidement, elles sont pressées, nous on ne l’est plus, prenez votre temps, on a une journée à user.
Elle veut mon numéro de téléphone, je suis désolé, moi aussi j’ai une famille. J’essaie de faire de mon mieux, j’ai déjà sacrifié une partie de ma vie, de mon temps à moi, ce n’est pas pour l’ écouter me parler de son petit Paul et des excuses qu’elle invente pour justifier son comportement. Je devrais lui dire, si j’en avais le courage: Ton sourire tu le gardes, ton gamin la semaine dernière tu l’as amené en pyjama, tu te rends compte de ce qu’il a vécu. Il faudrait tout réparer dans sa vie, lui trouver un travail, un gars bien, alors on verrait sûrement qu’elle peut être une bonne mère, mais ce n’est pas mon travail, c’est un boulot de Titan.
Elle veut mon numéro de portable, bien sûr, tu peux rêver. Il faudrait que je lui dise, que de vrais mots sortent de ce foutu cerveau : ton Kévin, il est bête, mais bête, faut l’accepter c’est comme ça, je ne suis pas magicien, je suis instituteur, tu comprends, ce n’est pas mon problème, c’est le tien. Profite de ton crétin, profite.
Un texte très fort. J’ai été très sensible au désarroi du personnage.