L’impression qu’il y en a toujours un au fond des placards ou tiroirs des vieilles maisons que l’on débarrasse, soudé au papier peint punaisé qui empêche la communication de l’humidité des murs, et peut-être aussi dissimule quelques tâches de salpêtre, s’en fiche lui, le plus souvent il est inoxydable. Les moins solitaires camouflés noyés dans le fouillis d’une simple boîte à biscuits légèrement piquetée de rouille transformée en boîte à trésor par une recycleuse avant-gardiste ayant au moins vécu un bout d’entre-deux-guerres. Au milieu du moelleux des chutes de tissus prélevées lors de la transformation-chiffon, boutons retrouvés dans le plus saugrenu des endroits ou récoltés en bordure de chemin, bobines neuves ou tortillées par un réenroulement précipité, fuseaux vides ou préparés soigneusement avant de remettre une énième fois l’ouvrage sur le métier (sans oublier les petits morceaux d’élastiques glanés de-ci-de-là, de ceux qui par un bricolage astucieux resserrent les liens les plus distendus)… D’une autre classe , lui, il fait partie de l’équipe du nécessaire. Sans pour autant être de la trempe bruyante des cliquetis de rouet de la machine à coudre agitée par le mouvement rythmé sur pédale, aiguille serrée entre les lèvres, front plissé sous l’effort de contrôle qu’aucun point ne dérive de la trajectoire de l’ourlet ou de l’empiècement dicté par le patron au millimètre près. Son heure viendra bientôt, si parfois certaines craintives ou étourdies le conservent dans ces phases de grande ampleur, il est le plus souvent observateur laissant un peu respirer celui qu’il enserre pour mieux le protéger. Son combat il le mène contre les pointes d’épingles ou encore plus redoutable des aiguilles, qui forcent d’abord le regard à s’aiguiser par leur épreuve visuelle de passe fil à travers chas disqualifiant les couturières dont la vue baisse et le relègue parfois au rang d’objet aussi obsolète que celle dont l’arthrose tord les mains. Lui, il s’associe à la minutie, la précision les finitions. Il est dans l’intimité de la pulpe du doigt, la protège contre les piquetages des poussées répétées et lui offre une armure contre les assauts d’un dérapage. À l’occasion ne rechigne pas à prêter main forte pour l’urgence d’une réparation d’impromptue déchirure ; polyvalent : recoud, répare, rafistole, ravaude, rapetasse même si besoin… Reste humble même lorsque les digitabuphilistes s’affolent : juste un dé à coudre.
Très imagé, on y est!
Juste: une parenthèse qui se ferme alors que je ne l’ai pas trouvée s’ouvrir… un petit problème de compréhension pour moi dans la phrase de la machine à coudre (et de la présence humaine?)… et j’ai appris un mot, mais n’ai pas compris la différence entre digitabuphiliste et le plus léger digitabuphile!
Merci du retour Mireille, ce texte retardataire aurait sans doute besoin que l’on s’attarde encore un peu sur lui… la paire de parenthèse était hésitante, rajout de dernière relecture , tentative d’alléger une lourdeur. Si c’était celle de fermeture qui avait disparu, j’aurais pu croire à un inconscient hommage à Henri Michaux. Effectivement du flou entre machine à coudre et couturière, mais après réflexion je vais sûrement laisser la fusion entre l’engin et son opératrice. Quand au digitabuphiliste , j’ai moi aussi appris un mot, je pense que lui et son double allégé ont le même sens, mais j’ai aimé le côté pataud du premier.
c’était évidemment un retour de lectrice (qui n’aime pas revenir en arrière pour comprendre…) l’auteure est reine!