La foire aux dizaines du 27

27/09/70

Drôle de journée. Tromper l’attente des résultats. Sus au sud de Paris, les malades pour passer leur bac. Malade en bonne voie de guérison du corps mais du reste ? Parlé avec M. et attrapé à son contact une furieuse envie de guérir et se taire. Vu H. Je ne sais pas si le message qu’il m’a curieusement formulé a pris forme dans mon cerveau embrumé. Que faire d’une telle évidence ? D’une telle charge d’une telle évidence, tournée, retournée, éloignée, enfouie. Rapetisser les portes de l’univers à sa taille ça n’existe pas. Point tremblotant à venir au loin dans l’espace. Lui ai rien dit. Juste tournicoté mon mouchoir en regardant débarquer dans le salon une horde d’années juchées tant bien que mal sur des vaisseaux spatiaux à la P.K.Dick, aussi sur de grands animaux défilant en poussant des cris. Pas l’ombre d’une image intacte et rassurante. En vrai, je me demandais si l’araignée cavalant entre les lattes de parquet et visiblement perdue allait parvenir à rejoindre ses amis suspendus. Suspense. Tandis que me parvenait le son de sa voix aggravée pour la circonstance, retenue, avec plein d’allers-retours ponctués de rajouts, de quoi et de p’tits rires, l’air gêné pas tant par la gravité de la mission qu’il s’était imposé que par l’absence d’assurance de ma puissance d’action pour sa réalisation je suppose. Je l’aime bien. Mais on écoute sagement avec l’intérieur qui déborde de la foi qu’on peut dans son absolue solitude. Après ça, j’ai fait une balade impasse Sous-bois histoire de me calmer et me remémorer toutes ces fins d’après midi à vélo sans penser. Et ça fait quoi de pédaler dans le vide ? Mais non ! Dans la chair de la vie qu’est là, toute là faisant mine de se donner sans explication. Non, se donnant tout court. Du point de vue de l’être qui attend. Qui n’attend que ça. Où aller ? J’ai traversé un mur fleuri resplendissant qui m’a laissé sans voix, sans capacité d’exécution au-delà, médusée. Ignorante de tout surtout du poétique en mouvement. Et il eût fallut que je m’en reparte aussitôt. Quel vaisseau, quel radeau plutôt. Contaminée et trop faible pour cette nouvelle traversée, la seule la vraie bien sûr. Quoi ? De quel bois, de quel rêve impossible. Oh règne araigne araignée du monde, velue, pauvre grotesque. D’avoir pas envie de Leur ressembler en atterrissant. Avancer les deux pieds assurés à la surface de toute cette glace, il n’y a que ça de la banquise. Attendre.

27/09/80

Les mots du langage intérieur sous-tendus par ceux de l’écrivain-source du moment m’ont fait me sentir chez moi aujourd’hui. Suivant l’élan de l’écriture-source qui exprime ce que nous sommes : animaux-langage-corps. Par moments, je déambule dans le couloir trop petit pour un tel déplacement de pensées, à d’autres, je me colle à la vitre et regarde la pluie tomber et en bas, les parapluies se déplacer en suivant des lignes géométriques brisées par endroits pour former des agglomérats. J’ai quartier libre, travail à domicile, grève. Je note au hasard avant de me mettre au travail, j’veux sortir. L’accumulation des perceptions émaillées de quelques pointes de réflexions cimentées de techniques absorbées améliorées au fil de l’expérience voilà, appelle ça vivre. Changer de cap ? C’est compter sans le sens du devoir inculqué. Devoir à la fois de bien faire et d’être autonome et rendu sérieusement imbécile avec ce qu’on peut attraper comme uniforme à la descente du train. Marcher dans la combine parce qu’on aime notre job et qu’on est rudement fier de nos avancements. Même pas vrai. Un troupeau de gens s’amasse en bas de la colline, le soleil est retentissant. On lit l’innocence dans les jeunes regards grands ouverts. Année 80, Soixante-huit s’est fait grièvement oublié et la plupart en ont omis l’essentiel. Faut tenir bon oublier l’aboiement intérieur en utilisant les moyens du bord c’est quoi ? Malheur aux plongeons dans le laminoir des ruptures, séparations, maladies, accidents et le grand déplacement du puzzle à refaire. Organiser pas jeter. Ou considérer que toute chose est sans appel or c’est faux. Tout mot appelle un je ne sais quoi l’écrire. Heureux ceux qui inscrivent le mot FIN avant de repartir à nouveau. Écriture, pierres à édifices ratés. Même pas monticule, éclaboussures. N’écoutez pas les stupidités blafardes perpétrées par les acouphènes, écrivez-vous les uns les autres pour un jour meilleur vous rencontrer.

27/09/90

J’ai à peine le temps de regarder la pluie tomber par la porte-fenêtre dans le beau jardin. A peine le temps de me dire ah le beau jardin. J’ai tout de même repris pied et tête baissée sur le travail que j’essaie chaque jour d’abattre avant l’heure du coucher de ma petite. Pénétrer dans la chambre, tout laisser à la porte, plus rien n’entre en ligne de compte ; souffler sur les mots, les regarder s’envoler autour de son berceau, les mettre en suspens et m’ouvrir à ceux émanant d’elle en silence, ceux de sa respiration, cette force étrange que je ressens en la prenant contre moi. Échange instantané sans interprétation, sensation enveloppante et douce ouvrant sur une vie d’origine extra-terrestre qui a pris corps. Interférence indispensable au quotidien, émerveillement garanti. Du point de vue macro c’est moins bien. Le soir, des nouvelles d’une guerre du Golf qui repart. Du bon côté de la rive s’est installée la suavité sur le dos des autres en face par écrans interposés ; êtres humains loin aux prises avec rien qui nous ressemble. Et on s’endort sur un monde enchanté qui ne peut que s’écrouler. Suffit d’attendre, ce que nous faisons, débordant d’activités de plus en plus captées par les extérieurs enfouissant le cœur de nos vies. C’est comme un décor. On a quarante ans on se sent bien. Juste un frisson qui parcourt l’échine au constat de liquidations totales en nombres escaladant les extérieurs de nos cerveaux. Est-ce que tout doit disparaître vraiment ? C’est combien pour un bonheur insolent ? J’vois bien qu’on n’a pas droit à la pause pour s’en faire une idée. On s’accroche à la continuité naturelle suivant la ligne de plus forte pente de nos priorités. Surtout ne pas évoquer le compte à rebours des années de bonheur pour se faire taxer de Cassandre et s’empêcher de réfléchir à cette histoire d’entropie. Aujourd’hui, j’ai transformé mon angoisse en action créatrice à venir vite. Faire de l’art. Avancer sur la pointe des pieds et se laisser prendre jusqu’à verser dans son fossé, son abîme peut-être. Visser comme faire se peut le tuyau du rêve sur celui du réel et ouvrir les vannes autrement que dans le vide. Travailler les extérieurs et viser la réconciliation sinon l’unité, un embryon de clarté. Noter ce début comme une forme nouvelle en lutte. Se balancer en dedans des idées de fierté. De coming out of the closet comme ils disent.

27/09/2000

La solitude, cela devrait être un amour qu’on puisse rompre à tout moment. J’ai du mal à tenir un journal puisque je suis portée à consigner ce qui me vient au réveil le matin. Ce serait plutôt un nuital, à l’issue de batailles rangées à l’ombre des rêves, chaque fois réengagées pour venir à bout de la nuit bien plus que du jour. Lui est modeste et le plus souvent se laisse traverser malgré tout, ne chuchote que de répétitions qu’il faudrait peut-être sacraliser pour les supporter. J’envie, entre deux parlottes avec les iris au jardin, l’emploi du temps partagé des moines ou de tout commun résultant de la croyance en la vie. Le train quotidien s’appelle devoir envers soi-même et les autres. Silence et dignité, juste une émanation de corps se déplaçant et vaquant dans un air familier. Avec des espaces de solitude. Tout en subtilités de rites et délicatesse de contournements. D’aucuns préfèreront que ça grouille, que personne ne s’intéresse à personne et qu’au sein des métropoles gérées à force de lois et violences policière, émanent accidentellement des vibrations associatives et ouvertes à toutes les différences, dans le crépitement magique de rencontres. En attendant, il me reste à (re)commencer de célébrer la vie dans l’ouverture du volet sur le jour bien levé et opérer tous les gestes, toujours les mêmes. Tenir dans la durée. Il faudra bien que je me contraigne moi-même à quitter les lieux. L’espace de rangement de ma vie. Le propulser, le lancer sur orbite. Le jeter au hasard où il pourra trouver à retomber avec moi en dessous pour le récupérer. Balancer les cendres de son destin comme pure bravade ! Car alors mon espace rebondira où il pourra en électron libre. Pour l’heure, encore un jour à consacrer non à l’écriture mais au travail et aux mille et une tâches 24h chrono avec le sourire de circonstance conservé. Les mots véritables, ceux que j’aimerais bien pouvoir prendre le temps de déverser après soigneuse rumination sur le papier, ne sont pas un outil de communication ordinaire. Avec eux, j’entre aussi bien dans l’ouvroir que je me penche sur l’établi ou que je chausse les bottes à l’entrée de l’étable remémorée. Grâce pour ceux qui sont sans exister. Pure essence qui n’a pas servie à mettre le feu. C’est peut-être cela la folie des pyromanes. Lorsque j’aurais achevé ma journée de mère seule à triple casquette, je m’octroierai comme tous, la plupart disons, cloîtrés derrière leurs écrans, une flopée d’images collées puis j’irai au lit. Écran boulot dodo. comment en sommes-nous arrivés là. Cette solution tragi-comique soufflée à quelques puissants de la planète Terre, dûment emportés par les flots de leur science, aveuglés par leur force, assujettis à leur passion et intervenant sur l’ordre des choses . Je retourne à ma modeste part en crachant au passage sur le tout puissant écran, vu que je commence par une course à vélo pour aller chercher le pain. Le vent sèche les larmes de l’esprit.

27/09/2010

Me réveille. Moment d’écriture dans le temps d’absorption des rêves. Si fort à ne pas pouvoir dire. Journal pré-jour, comprendre. Plus sidération à cause du poids du jour qu’il va falloir affronter dans ses moindres détails (agenda tel, contrôle). Dur pour tous, peut-être pas pour ceux pris dans la jouissance du modèle dominant ou les puissamment armés de bonne heure (mais ne perdent rien pour attendre. Quoi ? Les nouvelles dispositions terrestres). Et pour les tardifs ? Un poing excédé, balancé en avant sur l’encre noire, se détourne de sa route au dernier moment et vient s’écraser sur la vitre qui cède. Sortir tout le soi dans le bruit causé. Le regarder tranquillement, il est là qui git par terre au milieu du verre brisé. Petit sourire et décamper. Je n’ai jamais cessé de fuir d’être au monde. Mais peut-être maintenant. Est-ce que le fil de la lame vs tout ce qui atomise à distance, lave ? De la gorge tranchée sous l’œil perfide et impavide de la caméra venant s’opposer au faisceau minuscule de ce qui va vous faire disparaître en pressant le bouton, lavent-ils tous deux de l’humanité qu’il faudrait ici abolir dit la Terre en colère, les deux mains sur les hanches. Plus rien n’est-il lumineux autrement que pour abolir ? À genoux. Prions pour que tous ceux qui ont trouvé la paix au loin nous tendent la main. À genoux l’orgueil des nations ça viendra. « Les hommes n’aiment plus la vie » a dit cette femme en se retournant vers la caméra son bébé mort dans les bras. Et ils la prennent la vie, la viole, l’emprisonne et la remplace. A quoi donc nous a servi la folie sinon à redoubler de vigilance pour douter. A quoi servira de se mêler au feu et au sang, quel rang grossir pour une force contraire, est-ce que je peux jouer avec vous ? Jouer à quoi ? A celui qui battra l’autre et l’utilisera et réciproquement. Bête et méchant. Tu as tout juste l’air d’y croire encore toi-même alors que tu es si fort. Il faut un autre substrat à l’humanité. Ah j’ai hâte qu’elle disparaisse, clame des enfants en se trompant d’écho. Écrivez-vous ? Parlez-vous ? Comment parvenez-vous à vous servir du langage ? Le langage n’est pas là pour communiquer mais pour fonder. Le langage comme œil, comme oreille, comme corps. Entends-tu ton oreille siffler continument ? Jette tes lunettes et suis-moi. Où iras-tu ? Je ne sais pas. Juste boire une tasse de thé avec l’un d’entre vous. Au-delà de ce qui existe et pleinement à l’intérieur, vu que j’ai toujours raté les extérieurs. On fait comme on peut. Minuscules parts d’ondes agissantes. Et portant le liquide chaud à ma bouche. Et déplaçant une main pour m’emparer de la boîte d’allumettes. Et mettant le feu non rassurez-vous juste au papier dessous le petit bois dessous la bûche et bientôt, en cessant de dire le je pour entrer sortir bondir traverser. Que cherches-tu ? Que trouveras-tu ? Encore une fois l’image, substrat du vivant. Le vivant, animal en voie de disparition. Le pleinement vivant qui ne fuit pas. Celui qui est là dans l’air qu’il donne à respirer et se laisse approcher. Ou bien vas-tu courir après une image de plus pour ne pas t’effondrer. Oui, je sais que tu les adores. Alors vas-y cours si telle est ta maigre pitance mais ne viens pas pleurer après ton entre-deux misérable. Pour les images, c’est surtout que j’veux qu’on me raconte une histoire le soir pour me calmer. Qui a grandi ? Qui a sorti son pouce de la bouche ? A mené de bonnes actions  riches et utiles pour les hommes les sortir de leurs ornières, à terme ? Riches et inutiles pour magnifier la fonction fabulatrice. Sors de chez toi de tous les modèles et ne redoute surtout pas l’échec, empile les, les uns sur les autres maladroitement comme des cubes (sans rester sur le carreau stp) et vois. Bois l’eau des mots quand tu n’en peux plus. Bois l’eau des mots et nourris-toi des petits gestes de rien. Trouve ta famille de livres qui t’ouvre une porte pour aller de l’avant. Et la peau des oignons qui te fait pleurer ? Tout doucement en admirer les couches de peaux successives et leurs couleurs à travers tes larmes. Tes larmes sont les lames de l’esprit. Le pas gagné sur l’oubli. La solitude est là pour te rappeler, le grenat de la compote de myrtille et du vin, de l’adolescence brûlée aux mots de Rimbaud. Où tout revient en boucles dans une quête jamais aboutie. Comment cesser de virevolter entre dialogue et beauté. Encore un peu malgré les signes d’énervement du temps pour savoir ce que voulait dire se laisser aller à vivre simplement. Je sors je me rassieds, me rassis à 30 ou 40 % ; jette un œil circulaire happé par le piano qui me parle. Jamais tu n’as pu que m’admirer et non pas me toucher. Et maintenant que vas-tu faire de moi. Et les tableaux accrochés un peu partout ? Tu vas continuer à griffer les murs de mots prêts à éclater en lambeaux ? L’écrivain-source libère la parole et l’isolement suffisant. Est-ce que je peux jouer avec vous ? Jouer à quoi ? Jouer à exister ? Alors il te faudra vingt ans d’initiation pour ça. A quoi ? Aux nouvelles formes de vie. Mais à temps difficile, belles voix ; à silence épais, silence éclairant ; à jours répétitifs, nuits de Satori. Ça crie Satori dans tes rêves. Ça a crié.

2 commentaires à propos de “La foire aux dizaines du 27”

  1. goût pour ce qui est dit sans doute
    goût surtout pour la syntaxe, la brièveté pleine de chaque fragment et leur guirlande en suivant le sens, la force

  2. Merci Brigitte. Chouette.. yeux grands ouverts dans la nuit par dessus les toits. Bruits d ailes (elles). Hullulements. Bonne journée