Ici, la nuit tombe quand ça lui chante. Elle déboule à son tour sur la ligne, chemine le long du corps inerte, caresse la nuque puis la chevelure humide avant de grimper sur la falaise. Une mouche se pose sur l’épaule de l’homme, la brume a disparu. Il ne reste plus que le noir épais, le ressac, le cri des gabians affamés. Voilà des heures qu’il n’a pas bougé, abandonné aux crabes mangeurs de rêves et à l’obscurité qu’ici personne n’ose entendre. En un cercle parfait dont il est le ventre, on ne la voit pas disposer des cailloux, des pierres polies, des brins de sauge, du pain, des branches de genévrier, des bols, des os de taupe, des prunes, des griffes, des défenses de sanglier, des instruments à grelots, à cordes, des couteaux de différentes tailles aux manches écaillés. Plantés dans le sable, quatre tambours ornés de gigantesques plumes annoncent les directions. La mouche s’éloigne, indécise, se poste sur un rocher, vibre, une vague la frôle, on l’oublie. Elle est peut-être la seule à savoir si l’homme a bougé, si sa peau perle une sueur bleuâtre, s’il dort.
— Il est là depuis longtemps ?
— Bonne question
— Il est mort ?
— Aucune idée
— Il doit absolument sortir de là
— Pas sûr
C’est beau et mystérieux, et toutes ces odeurs qui montent à la narine, toute cette solitude, cette nuit qui chemine le long du corps inerte…on a envie de la suite, on ne sait pas encore si l’on doit avoir peur! Merci pour ce texte, Lisa.
Oh merci beaucoup. Votre commentaire apporte un volume au texte que je ne trouvais pas. J’ai beaucoup galéré sur cette consigne, et tout ce vide autour duquel je tourne, le voilà lisible. Alors merci encore.
Un exercice que je redoute : passer d’une consigne à l’autre en poursuivant le même texte. Je n’essaierai pas, perso. Mais j’aime bien ici, avec ce rééquilibrage du premier texte. Je regrette quand même que la femme ait disparu. J’espère la retrouver plus loin, dans ce personnage qui se cherche. Et le lecteur aussi tant les repères sont flottants, et c’est bien comme ça. C’est que le vide, ça se partage aussi. C’est même un point nodal de l’écriture chez Duras : « Du moment qu’on est perdu et qu’on n’a donc plus rien à écrire, à perdre, on écrit. »
Tiens c’est drôle que vous parliez de Duras, je l’ai écoutée encore cet après-midi. C’est elle que j’écoute quand ce vide si particulier se met à prendre tout l’espace, d’ailleurs, à chaque fois, je viens de m’en rendre compte. Et je ne connaissais pas cette phrase. Merci.
Rétroliens : #L5 | Au sol – Tiers Livre, explorations écriture