Il suit la ligne avec précaution, évite de regarder le blanc à droite, le blanc à gauche, le blanc devant, respire, veille à ne pas se laisser submerger par l’ampleur de la tâche. Il sent deux jambes, deux bras et le reste d’un corps ordinaire en mouvement, ça tient. Remué par cette découverte, emmerdé d’être remué si rapidement, il respire, s’assoit en tailleur, se trouve assez souple, ferme les yeux. Soudain l’évidence: il n’est pas le héros de cette histoire. Il peut cheminer sans crainte puisqu’il n’est personne. Soulagé, il se déplie, déboule sur la ligne, se trouve tonique, apprécie le contact de l’air sur sa peau, se demande s’il est chaud, froid, sec. L’essentiel, c’est que le trac disparaisse. Il sourit en se remémorant la veille, incapable de s’élancer, envieux des autres jetés là qui arrivent par paquets de tous côtés, en train, en voiture, en veston, vieux, fatigués, chargés. Certains ont déjà accès à des villes mouillées, des espaces fleuris, habités, sont face à des portes prometteuses. Quelques uns se trainent du bout des lèvres, comme lui. Maintenant hilare, il se revoit, poussif, essayant la robe d’une femme aux pieds blancs, les premiers à fouler ce monticule de sable et de moustiques appelé aujourd’hui Vera Cruz. Quelle folie. Folie? Il ne rit plus. Il pourrait être cette femme embarquant pour des raisons forcément étonnantes sur un galion à Cuba et dont personne n’a jamais raconté l’histoire, ou cette autre femme qui arrive le même jour au même endroit avec dix-neuf autres esclaves offertes à Hernán Cortés. Pourquoi pas? Parce que c’est trop. Rien que la robe de la femme blanche est trop lourde à porter. Déçu, il avance moins vite, se rassure. Elles reviendront peut-être au détour d’une autre ligne, par d’autres que lui. Il espère qu’il ne restera pas seul très longtemps, se sent mieux à l’idée d’un autrui, plus libre. Il se trouve serein, résilient. Après tout, il aurait pu ne pas partir du tout. Il s’aperçoit trop tard qu’il aspire l’horizon blanc par trop grosses bouffées. La panique le surprend, il se demande si des racines galopent sous les lignes, si ses mains sont gracieuses, épaisses ou rugueuses, s’il porte une barbe, s’il ne serait pas préférable qu’il arrive à vélo, en chapeau volant ou en hélicoptère. Friable, il s’effondre.
Il ne voit pas la brume, il ne sent pas l’odeur de la mer, n’entend pas les gabians le saluer. Il ne sait pas qu’il est nu.
Intrigant, j’ai envie d’en savoir plus sur ce quelqu’un même s’il n’est pas le héros, et ce quelque part de blanc, de sable, de trac
Chic alors, ça le met en joie ! Il va peut-être se raffermir, du coup. Voyons voir.
Un drôle de labyrinthe que ce « il », tout en plis avec des dédales et tout plein de sorties. Tout est possible
Un personnage, fragile, légion, qui attend de le devenir vraiment, aussi solide qu’une personne — et puis non. Voilà qui devrait m’aider, merci.
Oh je me demande bien comment il vous aiderait celui-là… voilà un attribut auquel il ne s’attendait pas
J’aime bien l’indécision qui se fait récit et comment l’aventure de l’écriture participe à la création. .
Une rencontre de genre, littéraire et littéral, ça fonce,
on attend la suite,
Cat
on dirait un corps qui s’éveille, un perso, déjà bien chargé d’émotions, souvenirs, etc., et qui prend plaisir à découvrir ce qu’il sait faire et à être là, parmi les lignes, les surfaces blanches ou noires ! comme dit Cat : « on attend la suite », nom d’une pipe !
Rétroliens : #L5 | Au sol – Tiers Livre, explorations écriture