Je veux saisir l’instant d’un mot, l’instant où l’impalpable se moule dans la bouche, qu’il sort d’entre les lèvres ; l’instant d’un mot quand ’il résonne du son juste, de l’impulsion claire et que peu importe l’alphabet dans lequel il s’écrit ; je veux saisir l’instant où l’oreille reconnaît sa musique, l’instant aussi où la reconnaissance ne se fait pas et que les mots affluent pour lui dire la rive qu’elle n’a pas su quitter, la frontière qu’elle n’a pas pu franchir, celle qui l’empêche de comprendre, de percevoir la pensée vive que le mot oralise – totalise ; je veux saisir comme le mot se cherche puis ne se cherche plus tant il rhizome déjà, je veux saisir l’instant où la tête ne sait plus quelle langue est la sienne et que toutes deviennent volubiles jongleries hébergées par le corps, dansées par la voix ; l’instant où le commandement n’est plus, où les mots ne se réfléchissent plus, que leurs combinaisons, leurs impacts se pensent, se travaillent et même se calculent bien sûr, mais que les mots, eux, se présentent parce que la langue est là comme le souffle est là ; je veux sentir l’instant où dans la bouche les langues permutent sans même s’en rendre compte, question d’instinct ou de nécessité ; je veux comprendre le temps qu’il faut aux mots pour conquérir un corps, fulgurance ou long cheminement ; je veux saisir l’instant où ciel n’est plus ciel ni grenouille grenouille ; je veux saisir l’instant où les mots se surprennent à caracoler, à s’articuler, je veux saisir la peine qu’ils se donnent pour se dire comme ils sont, comme ils veulent, comme ils se plient aussi pour qu’on les comprenne ; je veux saisir l’instant du désir, je veux saisir l’instant du plaisir qu’ils procurent à les dire, le son pour le son, le mot pour le mot, puis leurs valses et leurs enchevêtrements, leurs incontournables liaisons, leurs rebondissements. Je veux saisir aussi les silences dont ils sont faits.
(vaste programme…) (merci en tout cas) (extra)
… merci à toi, en tous les cas, d’être passé par là – il faut bien s’y frotter un peu à ces langues !
Merci, un voyage des mots avec la langue, très joli.
… joli, c’est déjà ça, ne pas s’en faire un cauchemar de cette quête-là, rien que du plaisir ! Merci de ton passage, Laurent…
L’instant où le mot franchit le seuil de la gorge, de la bouche… quel étonnant et merveilleux sujet !
l’importance que ça a pour le corps d’avoir prononcé le mot, de lui avoir permis de franchir la frontière, de gagner le dehors, le bénéfice que ça procure qu’il s’agisse de « fulgurance ou long cheminement »
Un vaste programme comme dit Piero !