Je t’oublie comme une cour d’école
Je t’oublie comme les arbustes qui devenaient des arbres, des maisons, pour nos figurines d’enfant
Je t’oublie comme la marelle marquée au sol, qui marque les empreintes des chaussures qui la sautent
Je t’oublie comme le préau du bâtiment A quand les dernières personnes chargées de le faire finissent de le balayer
Je t’oublie comme ce sac de bonbons qui m’a glissé des mains, les bonbons ont roulé, des billes sur le goudron
Je t’oublie comme ce premier bisou, à droite de la grille qui donne sur la rue, sur la joue, c’était beaucoup
Je t’oublie comme le jour où cet homme avait ouvert son manteau, il était nu, la directrice est arrivée, puis la police après
Je t’oublie comme les pogs, les billes, les osselets, les cartes Dragon Ball Z, les cordes à sauter, les élastiques, les cerceaux, les jeux échangés entre deux sonneries
Je t’oublie comme les casiers dans le préau du bâtiment B
Je t’oublie comme les bandes blanches au sol qui indiquaient CPA CPB CE1A CE1B CE2A CE2B CM1A CM1B CM2A CM2B
Je t’oublie comme les batailles d’eau devant les toilettes, les respirations haletantes entre la course et les t-shirts glacés par les jets d’eau
Je t’oublie comme l’épervier et les cerfs dans la forêt, qui y travaillent mais il faut les tuer tous
Je t’oublie comme les pains au chocolat qu’ils nous avaient distribués une fois à la récré du matin, une seule fois, ce n’est donc pas difficile
Je t’oublie comme chaque main serrée dans les rangs avant de monter dans les salles, comme la peur de n’avoir personne avec qui se ranger, les yeux qui cherchent une autre paire, et les doigts qui finissent par s’agripper
Je t’oublie comme toutes les fois que l’un d’entre nous y a pleuré
Je t’oublie comme toutes les fêtes de fins d’années célébrées, entre le stand barbecue merguez et celui des canards en plastique, entre les déguisements et les courses en sac à patates
Je t’oublie comme la fois où j’ai glissé, la fois où je me suis écorchée le genou, la fois où j’ai saigné du menton, la fois où j’ai fait dans mon pantalon
Je t’oublie comme les murs couleur pervenche
Je t’oublie comme le muret où on s’asseyait, il n’était pas très grand, j’avais peur de sauter
Je t’oublie comme j’oublie jusqu’à la sonnerie
Je t’oublie comme couchés sur le sol, quelques cailloux autour, le cartable comme oreiller, le ciel gris et morose, les autres qui crient tout autour
Je t’oublie comme les Pepitos, les papy Brossard, les mini boites de Chocapic, les sucettes au coca, les Petits Ecoliers, ce n’est pas que pour les enfants, les barquettes à la fraise, les Vittel fraise et les Yop vanille
Je t’oublie comme le gardien qui ferme une à une toutes les entrées de la cour, l’alarme enclenchée, les lumières éteintes
C’est magnifique. Quel choix que ce verbe oublier et tout ce que cela raconte ensuite… Bravo. Je reste sans voix.
Merci beaucoup, Rebecca, ça me touche d’autant plus que j’ai adoré écouter On/Off hier ! Le texte prenait tout son sens lu. Merci !
Du coup, je pense au gosse que j’ai oublié moi aussi dans une cour d’école. Quand on se retrouve dans le biographique de l’autrice, c’est pas ça l’universalité de la littérature ? La littérature tout court ? Merci Lamya :))
Merci beaucoup ! C’est très fort, ça me touche.
Un texte plein de nostalgie…
comment oublier ? 🙂
Je n’oublie pas non plus les fameuses barquettes aux fraises.
Merci pour ces je t’oublie comme…
leur goût … après une journée d’école.
Bonjour Lamia,
On est tout remué de ces oublis que votre texte raniment, et l’importance de ces moments répétés, uniques et pourtant partagés.
Une petite remarque si je peux, j’aurai mis l’oubli de la sonnerie après les petits biscuits (qui relancent) et avant le gardien, une façon de fermer le texte. A vous,
C
Merci d’avoir pris le temps !
C’est une question que je me suis posée, je ne voulais pas terminer sur quelque chose de trop fermé, et vraiment je n’ai pas su comment terminer ! J’avais envie de continuer. La cloche m’a donné envie d’aller vers des souvenirs sonores (d’où les voix des enfants, après).
Du coup, votre remarque me donne envie, de reprendre et continuer, merci beaucoup !
J’aime vraiment beaucoup… Très gourmand et malicieux
Merci beaucoup, j’en suis ravie !
Que de mélancolie dans ces oublis toujours si présents ! Merci !
Merci à vous !