Je t’habite comme les lieux de l’enfance qui ont été rayés de la carte, car la ville a grandi. Je t’habite comme les maisons dont certains de ses habitants si proches ont disparu. Je t’habite comme cette ville où il est impossible de retourner. Je t’habite comme ces rues qui ne sont plus foulées car trop de non-dits, trop de peine, trop de pleurs refoulés, car d’autres raisons qui ne sauraient être dites.
Je t’habite comme la forêt de Brocéliande, envahie par une horde de chevaliers à la solde du roi Arthur. Je t’habite comme je suis les traces des cerfs qui te parcoure. Je t’habite comme l’eau qui coure entre les cailloux sur lesquels des elfes juchés saluent l’errance du visiteur à la recherche de l’Arbre d’Or du Val sans retour. Je t’habite comme je communique avec les arbres. Je t’habite comme j’entends leurs murmures. Je t’habite comme j’écoute l’histoire écrite par Chrétien de Troyes ou dessinée par Paul Frichet. Je t’habite comme je cherche la demeure du roi Salomon. Je t’habite comme les Korrigans te peuplent.
Je t’habite comme ce cimetière de Pontlieue en pensée seulement. Je t’habite comme les sépultures des anciens, je les ai visitées, mais à aujourd’hui je n’ai pas pu rendre visite aux trop proches, disparus, mais toujours au fond du cœur ou de la tête. Je t’habite comme un pense-bête pour ne pas oublier. Je t’habite comme en rêve je dépose une lettre dans la boîte aux lettres de celui qui a eu les poches crevées et s’en vint mourir à la Conception, dans ces couloirs que mes pas ont parcourus tout comme mes cauchemars les ont hantés.
Je t’habite comme les jardins foulés au fil des ans par des sabots soit de bois, soit de caoutchouc. Je t’habite comme le jardin ardennais où trois chatons, échappés de leur emballage de gâteaux savoureux courent et grattent les semis de radis au grand désespoir feint d’un grand-oncle au crâne dégarni. Je t’habite comme il aimait emmener se promener dans les pas de Rimbaud une enfant émerveillée par cette place aux nombreuses arcades. Je t’habite dans ce lieu où donnait l’appartement de Charmette, qui portait si bien son nom et où l’oncle Paul racontait à la même enfant ébahie sa vie dans le monde professionnel d’après-guerre de la boxe. Je t’habite comme le jardin manceau où les planches tirées au cordeau ne supportaient pas le moindre brin d’herbe dite mauvaise alors qu’elle était simplement sauvage. Je t’habite comme elle qui voulait nourrir escargots, limaces et autres pensionnaires sans déranger. Je t’habite comme le jardin provençal où les habitants à plumes ou à poil, à deux ou quatre pattes sont plus nombreux que les bipèdes humains. Je t’habite comme celui qui sera le dernier, celui des souvenirs.
Je t’habite comme les histoires racontées aux enfants du village. Je t’habite comme les mots surgis des temps anciens, des vieux grimoires, des marmites des sorcières. Je t’habite comme les pages tournées, comme les images vues, comme les héros venus de nulle part. Je t’habite comme les chaumières des trois petits cochons, comme la maison de friandises goûtée par Hans et Gretel. Je t’habite comme les fonds marins de la petite sirène. Je t’habite comme les yeux brillants des enfants attentifs et émerveillés.
Bonjour Danielle,
On est touchée par ce vous habite, et habille le cœur, entre attention et émerveillement.
Texte émouvant
Merci Danielle pour ces détours poétiques et fantastiques. Je crois que je voudrais me perdre encore un peu dans le Val sans retour de l’enfance…