Vous ne l’attendez pas et pourtant vous l’espérez. Un peu désinvolte, vous murmurez, vous scandez peut-être, ou vous le pensez mais n’en montrez rien, ou bien, chaque matin, devant un miroir cassé, vous en répétez des brassées de 12 pour vous y préparer.
Vous voulez garder la confiance de l’auditeur, vous avez l’intuition que l’autre ne sait pas non plus, mais dans sa position, quelle importance. C’est à vous qu’incombe la responsabilité, c’est sur vous que pèse toute la confiance du monde qui s’écroulera comme plafond dans incendie si les mots franchissent la porte de votre visage…
Vous ! Médecin… Vous prononcez la phrase maudite. Celle qui enfonce le corps de l’auditeur sur lui-même, lui fait ramasser son corps et ses dents et poursuivre sa quête chez le prochain ignorant. Il court se faire renseigner ailleurs, vous avez failli. Le venin circule.Plus rien n’a désormais le même goût. Vous lui avez refilé celui du risque, insinué en lui, en elle, le danger possible, la faille inavouable. Puisque vous vous êtes engouffré dans la brèche, tous les autres peuvent replonger l’auditeur dans l’angoisse de l’ignorance et de la confiance abolie.
S’il ne sait pas, je n’ai pas confiance. Quand même, il devrait savoir, il est médecin !
Pourtant, pourtant, vous-même, vous insistez auprès de vos auditeurs à vous : « Si tu ne sais pas, demande-moi. », « N’hésitez pas à revenir vers moi en cas de question, de doute, de besoin. ». Oui. Quand on ne sait pas, on a besoin de l’autre, parce que l’autre sait, mais quand il ne sait pas, comment lutter contre la gorge serrée ?
Vous ! Enseignant… Au locuteur non-natif de la langue, vous transmettez la phrase comme le sésame, comme l’art de la sortie de l’impasse, entouré d’un réseau d’autres passe-partout : je-ne-comprends-pas | Je-ne-parle-pas-votre-langue |Je-suis-étranger-étrangère | Je-ne-sais-pas !
Et quelle fierté quand ils l’utilisent au bon moment et que les portes de la communication s’ouvrent, que l’escalier de l’apprentissage déroule ses marches…
Vous ! Vous restez étranger au je-ne-sais-pas justement. Vous vous en tenez férocement à l’écart. Sauf peut-être le je-ne-sais-pas-quoi dans les yeux, sauf peut-être le ‘sais pô amusé, celui de la surprise, celui qui sait qui dit qu’il ne sait pô…
Sinon, Je ne sais pas, c’est la contrée inconnue, la retenue d’eau qui ne craque pas. Vous regardez la phrase droit dans la confiance, vous disant qu’à force, c’est elle qui sera digne de crédit. Comment, vous osez dire Je ne sais pas à vos patients, à vos clients, à vos élèves ? Et ils réagissent comment ?
Vous semez ce possible revirement du poids des mots chez l’auditeur. Vous ne l’attendez pas et pourtant vous l’espérez.
Allez m’sieur dame ! Un petit Je-ne-sais-pas ! Pour faire plaisir à papa ! Allez ! Répétez après moi ! Je le dis tous les jours à des tas de gens très bien et ils n’en sont pas morts tout de même ! Il faut se faire confiance. Vous verrez, quand le pas claque à la fin de la phrase, il vous revient presque à l’oreille, une vraie jubilation ! Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir ! Et bien, là, il y a ce petit plaisir du pas qui claque et qui rebondit, cette légère vibration toute chaude et bien franche. Vous verrez, ça fait un bien fou !
Vous ! Fervent pratiquant du Je-ne-sais-pas, vous mesurez le chemin accompli depuis les premiers murmures secret devant miroir personnel, jusqu’aux regards francs et aux paroles bien sonnées !
Vous ne l’attendez pas et pourtant vous l’espérez. Un jour viendra, où un je-ne-sais-pas-quoi de confiance supplémentaire des auditeurs chatouillera chaudement vos oreilles…
En attendant, chaque matin, vous attaquez la suite de la rééducation et prononcez distinctement des Je-ne-comprends-pas | Je-ne-comprends-pas | Je-ne-comprends-pas !
Moi je sais, j’aime ce texte.
Merci. Je ne sais pas quoi ajouter ^_^.
« Vous verrez, quand le pas claque à la fin de la phrase, il vous revient presque à l’oreille, une vraie jubilation ! » https://www.youtube.com/watch?v=5iPIuBsQwdA
J’adore !! Merci !!