j’ai dormi dans la chambre des petits lapins, des petits lapins peints au mur blanc, des multitudes de Pinpin sur les murs et qui murmurent et qui font peur tant il y en a – en face, sur la porte du placard, un arbre avec des pommes
j’ai dormi dans la maison de Trambly, la grande bâtisse rose avec le dortoir à l’étage, où nous étions alignés en rang d’oignons sous les édredons
plus grande, j’ai dormi dans une autre chambre de la même maison, celle qui donne sur la place et l’église, avec des matelas au sol et un visage très près de mon visage
j’ai dormi dans le grenier rose et vert, au fond du lit de fer, avec les chiffres rouges qui clignotent en cadence sur la table de nuit quand c’est l’heure ; au mur, une applique en forme de glace fraise-pistache
j’ai dormi dans la chambre du nord chez pépé et mémé, parmi les fleurs sur le papier – sur le mur d’en face, l’armoire normande massive aux portes grinçantes, et des piles de draps brodés, de couvertures côtelées
j’ai dormi dans l’autre chambre avec les patins pour ne pas salir, près du berceau d’enfant, et derrière, l’immense portrait de mon petit cousin, souriant, sur le marbre de la commode
j’ai dormi dans l’atmosphère feutrée de la chambre d’Ozoir, dans les draps frais d’un lit sans sommier, très près de la moquette, sous ce tableau que j’ai gardé, fond noir où se détachent l’arbre et la lune
j’ai dormi dans un dortoir en colonie, et j’ai pleuré pour qu’on vienne me chercher – retrouver la rue qui était la mienne, la maison qui était la mienne, ma chambre qui était ma chambre
belle promenade dans des chambres que l’on imagine comme dans un album de photos en noir et blanc
j’aime beaucoup cette image de l’album, merci de l’avoir feuilleté…