J’ai décidé d’arrêter d’écrire

J’ai décidé d’arrêter d’écrire. De couvrir une feuille ou une page virtuelle de signes. De les lire, de les juger, de les raturer ou effacer. De recommencer encore et encore un texte qui ne sera probablement jamais lu.
C’est venu comme ça, et depuis je m’y tiens. Enfin, je m’y tiens, j’ai comme l’impression que je suis en train d’écrire, malgré moi. Y a des idées qui viennent et qui trottent dans ma tête, mais désormais je les laisse partir si possible aussi vite qu’elles sont venues. Pas facile parce qu’il n’y a pas que les idées, il y a les images et celles là elles restent longtemps. Et avec elles l’envie. Ben oui, l’envie de les saisir et de les noter là maintenant tout de suite sur mon cahier d’apprenti écrivain. Se dire : « Tiens, c’est pas mal ça ! » et d’aussitôt joindre le geste à la parole. Puis d’aller noircir un bout de page sur mon cahier petit format à grand carreaux à la couverture jaune.
Désormais je regarde mon cahier que j’ai rangé sur une pile de dossier à gauche sur mon bureau. La lumière du matin, quand il fait beau dans notre bonne ville de Lyon, vient lui donner une couleur de citron de Sicile. Un jaune lumineux et qui laisse voir les grains de la peau de ce fruit tellement délicieux lorsqu’il est transformé en limoncello. Les quelques feuilles volantes qui sont posées sur le bureau contiennent des notes que j’ai prises juste avant d’arrêter d’écrire. Oui, parfois j’aimais bien écrire sur des feuilles volantes. Des feuilles A4 sur lesquelles j’écrivais en pavé avant d’aller rajouter des variantes dans les marges blanches. Je parle beaucoup plus au passé depuis ma décision d’arrêter d’écrire. C’est rigolo parce que, du coup je quitte de plus en plus le présent pour aller voyager dans un passé proche ou lointain. Je pourrais écrire là-dessus, ou plutôt j’aurais pu écrire là-dessus mais non, c’est fini, enfin j’espère. Ceci dit, parfois ça me titille, parce que le passé qui se présente à moi semble demander que je lui fasse une petite place dans mon cahier ou sur mes feuilles. Par exemple je revois Valérie dans cette chambre où, au lieu de faire l’amour, on a passé des nuits à se faire des batailles d’oreillers mémorables avant de s’écrouler morts de fatigue. Bien sûr, l’envie de tricher se pointe parfois. Parce que j’ai décidé d’arrêter d’écrire, certes, mais est-ce que cela concerne ma prise de notes orales sur l’enregistreur du téléphone ? Bien sûr que oui, que je me suis dit l’autre jour où, au moment d’appuyer sur « enregistrer » je me préparais à décrire la chambre du petit village où j’ai passé un an chez mes grands parents. Heureusement j’ai stoppé mon geste au bon moment. Mais pas facile tout ça. Parce que personne ne m’a enjoint d’arrêter d’écrire ! Personne. Non, rien que moi.

A propos de Nicolas Larue

Fin du vingtième siècle j’ouvre les yeux sur le monde. Quelques bonnes décades après, je n’en finis pas de trouver tout ça passionnant malgré tout ;)

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