Suis arrivée matin. Ai vagi pour la réveiller. Décollé mes paupières. Décollé trop vite même. N’ai pas fait l’unanimité seulement la moitié. Avais une fente et pas un robinet. Étais née fendue, quoi ! N’ai pas tété longtemps car mordu les crevasses et fait naître le sang. Ai reçu des soins fous et de l’angoisse pure. N’ai pas reçu les mots. Ai forgé mes outils. Et puis les ai perdus. Ai cherché, fouillé, creusé. Partout. Voulais les retrouver. Voulais encore voler. Voulais qu’elle s’envole. Devais montrer l’exemple et ensuite elle aussi. Voulais la sauver, étais obligée, quoi ! Puis ai abandonné et suis partie sans elle. Voulais pas m’écraser, voulais pas être pierre. Voulais vivre. Être libre. L’ai laissée loin derrière. Ai trimbalé des cailloux pour construire un chemin. Un qui tienne la route. Suis montée très, très haut. Ai laissé les filets voleter tout en bas. Même pas peur, avais ! Avalais la route, engouffrais la vie. Emportais tous les autres, tous ceux qui avaient besoin. Réparais, retissais et soignais. Rapetassais, comme on dit. Croquais à pleines dents le jus sucré du monde. Donnais tout, tout le temps. Ne prenais pas grand-chose. Ai fini par tomber. Par faire la culbute à travers des nuages qui ne me portaient plus. Me suis arrêtée. Ai pleuré des litres de rivière salée. Ai regardé en arrière. Ai vu ma prison apparaître. Suis entrée profond en elle. Ai exploré minutieusement. Ai distingué les pierres disjointes et les murs qui écroulent. Ne les avais jamais vus avant. Savais même pas qu’ils étaient là ! Ai pris mon courage à deux mains. Ce qui me restait de forces. Ai recommencé. Lentement. Ai déconstruit puis rebâti. Ai accepté la solitude. Ai enfin aimé le silence. Ai réussi à ne plus rire tout le temps. Etais quand même quelqu’un toute seule. Me suis étonnée et reposée. Me suis sentie rassurée que tout ne se repose pas sur moi. Me suis même sentie rassasiée. Pas longtemps. Ai mis de l’ordre dans le chaos, et retrouvé un équilibre. Ai cru que ça y était. Ai déposé l’armure, ai déposé l’épée, ai enfourché ma propre histoire. Ai avancé sereine. Me suis allégée. Ai pu être présente. Croyais avoir fait la paix. Croyais pour toujours baigner dans la lumière, à l’abri des remous. Avais fait ma partie, avais rempli ma part, quoi ! Me suis sentie forte de ma peur, enfin. Avais pu la regarder dans les yeux et la prendre avec moi. Avais donc gagné le combat décisif, non ? Ai arrêté les trop-pleins de questions. Ai vécu sans m’excuser. Ai bien aimé être. Pas longtemps. Ai dû reprendre les armes, n’y étais pourtant pour rien. Devais la sauver vraiment cette fois. Ne pouvais plus avancer ni en rire. Ai ressenti l’injustice. Ai su de suite. Ne pouvais pas être ailleurs de toute façon. Me suis inventée un rôle dans la tragédie grecque. Ai lu au compte-goutte « La Vie Mode d’Emploi ». Avais dû rater quelque chose ou sauter un chapitre. Avais encore espoir à l’époque. Ai assisté à tout jusqu’au fond des égouts. N’ai presque rien sauvé. Ai essayé de remonter. Crois que n’ai pas vraiment pu tout à fait. Continue à grimper. Parfois lâche la corde. Retombe lourdement. Essaye la douceur, le simple, le présent. L’aujourd’hui. Ai haché du basilic. Y ai rajouté de l’ail. Ai mélangé au parmesan, à l’huile d’olive et aux pignons. Puis ai mis tout ça en pots qui embaume l’espace. Ai fait sécher les tomates et puis les aubergines. Ai confit tout cela pour les soirées d’hiver. Ai écrit un peu, pas assez. Me suis dit en fait trop. Encore trop, quoi ! Me suis dit ai tout fait même étouffer vraiment. Suis jamais montée sur un cheval, pourtant. Ai jamais beaucoup voyagé sur mes pieds non plus. Suis pas rendue martyre ou alors pas encore. Ai pas changé le monde. Ai pas fait grand-chose finalement.
Pas fait grand chose, c’est possible … mais écrit Quelqu’un avec beaucoup de force. Merci pour ce texte intense.
MERCI infiniment pour ce texte tellement fort. Du début à la fin. Juste parfait de verbes-vie !
L’ail, le basilic, l’huile d’olive, le parmesan, les tomates…miam! C’est bien là que se situe la saveur de la vie, non ? Merci pour ce beau texte.