Née dans la marge ; entre deux avortements ; sans désir ; sans prénom ; enfin nommée ; dans le souvenir d’un pays ; d’une autre femme ; découvert ; des dizaines d’années plus tard ; ahurie ; mon numéro d’arrivée ; dans une clinique allemande ; ce jour-là ; cette année-là ? ; numéro diabolique ; m’en suis effrayée ; et puis en ai ri ; me suis voulue gars ; plutôt que fille ; pour plaire ; jouer au bras de fer ; gagné souvent ; fumé la pipe et la gitane maïs ; déplacé les meubles ; attendu un compliment ; pour pouvoir m’aimer ; expérimenté l’échec ; dès mon plus jeune âge ; garçon attendu ; après la première fille ; ai fui ; mon patronyme ; enchaîné mes vies ; villes ; amours ; sans déni ; sans oubli ; mais vécu ; volcan passionné ; traversé le sud le nord l’est l’ouest ; arpenté les montagnes usées ; les plus arrogantes ; les vallons ; les surplombs et les combes ; survolé mers ; océans ; n’ai rien choisi, longtemps ; m’en suis allée ; au gré des rencontres ; m’adaptant ; me liant ; me déliant ; construit trois maisons ; en ai aimé bien d’autres ; écouté en boucle ; lovée dans le canapé ; « le vilain petit canard » ; offert pour mes sept ans ; rêvé ma vie ; couchée dans les blés ; sur le chemin de l’église ; le long de la rivière ; perchée ; en haut des arbres ; tôt ; les dimanches matins ; quand le monde dormait ; encore ; et que je respirais la campagne ; bu ; la poésie ; aux lèvres d’une adorée ; Neruda Aragon ; pleuré ; de rage ; de n’être pas entendue ; adolescente ; dans mes choix de vie ; alors ; bousculé les convenances ; envoyé promener les principes ; des autres ; relevé la tête ; rencontré un regard ; un père ; pour mes enfants ; fait mes enfants ; dorloté pouponné ; nourri ; anxiété impuissance désarroi ; étudié ; travaillé ; étudié ; terrassée ; par une disparition ; puis par une autre ; les hommes ; aimés ; ne faisant que passer ; semble-t-il ; dans ma jeunesse ; résignée alors ; à ce que la mort ; entre ; accidentellement ; dans ma vie ; de jeune maman ; repartie ; sur mon chemin ; mes enfants sous le bras ; vers d’autres maisons ; mais avant tout cela ; effrayée ; dans la chambre partagée ; sous les toits ; près d’une patiente ; crachant ses poumons ; allongée sur une planche ; en déclive ; écouté ; dans cette même chambre ; Romain Gary à la radio ; « la fidélité n’est pas une histoire de cul » ; tenté l’expérience ; raté l’expérience ; me suis souvenue qu’enfant ; déjà ; couple égalait histoire ; compliquée ; de scènes ; violentes ; jouées entre les murs ; avec retrouvailles ; déchirements ; complicité ; tendresse ; rancœurs ; frémi ; aux films de Bergman ou de Cassavetes ; été subjuguée ; devant la lumière de Vermeer ; puis par celle de Twombly ; émue ; par Alfred Wallis ; savouré ; l’austère simplicité de Morandi ; chanté ; beaucoup ; de Jacques à Léo et à Barbara ; dessiné ; photographié ; enregistré ; décrypté ; écrit ; regretté de n’être ni polyglotte ni musicienne ; ni muse ; ou si peu de temps ; trébuché ; de nombreuses fois ; sur ce parcours chaotique ; toujours ; à rebours ; et dans le désordre.
C’est très fort, magnifique ! La séparation avec point-virgule très judicieuse. Bravo !
Merci !
Je rejoins tout à fait Muriel Boussarie sur le point-virgule. J’aime beaucoup votre texte, sa bousculade d’événements, choix et introspection et ses mots condensateurs (un tour de force !). Sensible aussi aux liens très vivants avec les écrivains, poètes et auteurs, en particulier à la manière dont ils s’alignent vers la fin du texte comme une suite de passerelles ( je l’ai ressenti comme cela, en tous cas). Alors merci.
Vous éclairez mon texte par votre lecture et je vous en remercie !
Touchant, percutant, émouvant, très fort…
Françoise, venant de vous, c’est moi qui suis touchée…
ça pour percutant ! et malgré la minuscule pause point virgule — en fait plutôt un rebond — je courais de l’un à l’autre sans pouvoir refermer mon bec et plus j’avançais plus je n’avais pas envie de le faire parce que la béance s’adoucissait en sourire, en reconnaissance, en presque fraternité
un « rebond » plus qu’une pause, c’est vrai, c’est ça… comme elle est gratifiante cette lecture, merci !, comme cet atelier est gratifiant, d’une manière générale !
Je rejoins complètement le sentiment de Brigitte Célérier.
Merci Deneb, pour votre fidélité !
Quel texte, quelle beauté, quelle pénétration, quelle histoire, quelle vie qui apparaît… quelle affaire. J’aurais voulu écrire ça, exactement comme ça. Merci.
Julie Bouchard, j’arrive fort tard pour vous remercier, et je vais vous lire aussi du coup !!!
Très fort, merci.
C’est moi, qui vous remercie !
Oh
Que c’est fort . Merci
mieux vaut tard que jamais ! c’est moi qui vous remercie de votre passage ici.
Percutant, condensé, très touchant Marlen, dans un style différent de d’habitude. Très réussi ! Toutes ces histoires de filles non désirées mal attendues me remue et me contrarie et me met en colère aussi (une fois de plus…)
Je voulais dire….me remuent me contrarient et me mettent en colère !
Fort avec ce mouvement de langue pointée en mises au point virgule !
Le blanc proposé dans l’exercice Poterne Roubaud aurait pu faire l’affaire, peut être moins sautillant mais il me semble que ça aurait fonctionné aussi…
on naît on chante on lit, on fait tout avec toi dans ce texte, et on t’aime aussi…
Bel enchaînement de participes passé / présent. Rejoins Françoise Renaud pour les blancs de Poterne plutôt que les ; plus durs. Les mots suffisent pour dire, je pense.
« regretté de n’être ni polyglotte ni musicienne ; ni muse ; ou si peu de temps ; » Je note celle-là, mais il y en a d’autres, tant d’autres, on se dit, là c’est moi, c’est moi aussi, on est lecteur de soi.
Merci à vous pour vos encouragements Cécile Marmonnier, Chantal Tran, Nathalie Holt,CM Le Guellaff, Françoise et Chrystel, je vais lire celles que je ne connais pas encore.
Je n’avais pas lu, avais raté quelque chose, vraiment. Point virgule top. Merci