- Proximité du sol, bitume à la chaleur ascendantes le long des cuisses nues, à droite, une portière de voiture colorée d’une couleur qu’on n’a pas retenue, à gauche, un mur ou un muret, une frontière qui isole la rue d’une propriété privée, là c’est l’espace public sue l’on investit accroupie, alors devant le regard furtif au cas où un passant passe, derrière, prière aveugle seulement. Sentiment d’impunité, d’illégalité à bas coût, honte un peu aussi. Et jubilation de la nudité reconquise dans la ville.
- Un trottoir crevé d’où surgissent les racines d’un très vieil arbre, indifférence des voitures qui le longent, se garent, vitalité vaine, de vieilles gravures ont scarifié son écorce, cœurs creusés à la pointe d’une dent de clé ou d’un opinel, et lettres initiales garantissant d’éternelles promesses, dont les rebords se sont ourlés comme de vielles cicatrices. Il défie la ville en en faisant exploser le sol. Mais personne ne fait attention à lui.
- Les toits de Paris sont pleins de cheminées. Chaque appartement est relié au ciel par un conduit autrefois ramoné qui se projette à la verticale. Forêt de cheminées blanches ou en briquettes, tuyaux respiratoires désaffectés d’où ne sort plus aucune haleine. Les cheminées de Paris ne fument plus.
- Avez-vous déjà observé les fils électriques en province à la tombée du jour? Il reste encore de ces très vieux câbles reliés à leurs maisons destinataires par des poteaux de chêne qui se délitent. On se dit qu’ils sont les témoins laids d’une époque où on ne cachait pas l’utilitaire. En province quand vient la nuit ces câbles presque abandonnés deviennent les tribunes de nuées d’étourneaux qui viennent chanter par milliers la mort du jour comme s’ils ne concevaient pas qu’il puisse y avoir un lendemain. Et tous les soirs les piaillements laids comme les fils électriques recommencent.
- Tous les jours pendant plus de dix ans je suis passée devant le mur des anciens entrepôts de la SNCF à La Chapelle. Le mur était long et d’une hauteur conséquente. Des artistes peintres en avait fait leur toile et peignaient des flancs à tous les printemps. Peinture à la bombe, peintres anonymés par les masques à gaz, culte de l’interdit que l’on brave. Des jeunes abîmaient ces œuvres à coups de bombes maladroits, mais nul ne s’en offusquait. Et à la saison suivante, une nouvelle œuvre apparaissant, peinte la nuit souvent, fleurie au petit matin, superposée à la précédente, que les égratignures de la ville avaient très vite vieillie. Qui a gardé la mémoire de ce mur palimpseste?