« Et si on faisait un 1000 bornes ? », lance mon frère qui aime jouer. La famille s’installe à la table de bois grossier qui se trouve en dessous de l’unique fenêtre. Le jour descendant l’éclaire encore. Bientôt, il faudra allumer les bougies et le jeu se poursuivra dans l’oscillement des flammes. Le jeu des 1000 bornes est réservé aux soirées au chalet. Le jeu des 1000 bornes est donc réservé à la belle saison quand nous rejoignons le lieu à travers l’alpage. Il ne viendrait à l’esprit de personne de l’importer dans la plaine, dans la ville où nous disposons d’autres jeux plus modernes. Ici, peu de place, une pièce à vivre avec un poêle. Autour, les banquettes d’une Coccinelle tiennent lieu de canapé, et une chambre commune attenante. Alors ne s’y trouve que des jeux de cartes, dont la fameuse boîte bleue tenue par un élastique, au graphisme suranné. Comme le jeu nécessite quatre joueurs, sûrement mon père jouait. Et comme à tous les jeux, mon frère demandeur sûrement trichait.
L’enfant est juchée sur sa chaise haute, ou bien, un peu plus grande, assise à la table des adultes. Pour l’heure, il ne s’agit que de sa mère, son père travaille. Devant elle, une assiette dûment remplie. Des coquillettes assorties de lamelles de jambon blanc. Rien que du neutre, du rose et du blanc.Elle est en terrain connu. Pourtant l’enfant crie et tape du dos de sa cuillère tant l’assiette que son pourtour. Ça, elle n’en veut pas, même s’il ne s’agit pas de viande. La viande, elle sait ce que s’est, elle est rouge ou, au moins, laisse s’échapper des filets de liquide couleur sang. Profitant d’une accalmie, la mère tente le jeu de la cuillère : « une cuillère pour papa, une cuillère… ». Tente d’atteindre la bouche infantile, puis suspend son geste. L’enfant s’obstine. L’enfant s’enferme dans son refus, elle refuse qu’une quelconque substance entre dans son corps. L’enfant se nourrit de son refus. L’enfant mange sa colère. Pourtant un jour, il a bien fallu que je mange.
Nous sommes sur le parvis dégagé de la Maison des arts et de la culture, avec en fond, le fondu bleu gris du ciel et des eaux du lac. Là se dresse une sculpture monumentale constituée d’un bloc de marbre blanc surmonté d’une voile de bronze. C’est l’été et la lumière est bonne. Ma tante parisienne E. m’a entraînée dans un tour touristique de notre ville. Comme elle aime les photos, elle s’est lancée dans un reportage. Et nous nous arrêtons à différents points de vue qui retiennent son attention. Comme elle élit les lieux, elle m’élit modèle du jour. « Tiens, mets-toi là ». Je me retrouve dressée sur le socle, occupant le point focal du champ photographique. « Attention, lève les yeux vers moi ». Mais je baisse les yeux sur mes longues chaussettes blanches. Le pan de ma robe bleue s’arrête juste au dessus du genou. Par dessus, je porte un gilet à encolure en V, qui décline des bandes allant du prune au vieux rose. Le tout, conclu par une paire de mocassins bruns, forme un ensemble disparate, à la limite du mauvais goût. Pourtant sur l’instantané, ce sera à jamais la tenue du mannequin d’une journée.
ouille la différence d’âge, le jeu des mille bornes est arrivé dans la famille au miment où nous les grandes n’y jouions que de temps à autre pour courtiser les deux plus jeunes
la scène des coquillettes si bien rendue
Merci pour votre lecture. Les 1000 bornes, j’avoue que je ne me souviens pas comment on y jouait, mais c’est vrai que les jeux ont des époques. Et merci encore pour les coquillettes, j’étais petite mais me souviens de ce refus de manger. Bonne journée !