#gestes&usages #01 | Incipit

A cause de la couleur de la rouillasse qui pelait partout, tombait du toit et chardait les petons, des copeaux qui faisaient comme la peau après la flotte, qu’on grattouille et dessous c’est le sang et les petits lambeaux, à cause qu’on respire ça et que ça colore tout, les flaques où fallait pas sauter joint, les troncs tout ridés, la techtroc que tu ramasses mais reste dans la pogne en débris, bon, la rouillasse, à cause d’elle, on se disait pas que ça irait mieux ni un jour ni jamais. Mais, pour dire vrai, quand on partait aux semailles, il arrivait qu’on tombe sur du plastoc bien frais. Des bouts qu’on savait pas bien ce que c’était, pas techtroc du tout, tout fendus, rien de batterie, rien d’écran, mais bon azul tout frais. On a trouvé les rougeots et les verdes aussi comme ça, en allant aux semailles. Cote cote le sac à graines, on avait le sac à plastoc. Ceux de la vieillerie nous le prenaient des pognes, comme des fou fou, fallait bigler ça ! Des oh, des ah, et qu’on comprenait rien, mais c’était serious. On faisait pas malin malin assis à se passer les débris. La vieillerie beuglait le nom des couleurs avec leurs bouches vaseuses qui crachotaient du jus de gorge. Et quand ils ont crevé et tous versé dans la compote à peaux pour les graines, on a rien bazardé, on a continué de looker ça. Avec nos mains on cajolait ça,  d’autres y collaient la langue et mouillait ça. La graine, des fois oui, des fois non, elle prenait peu à ce temps-là. Fallait compter racines et s’abriter du goutte-goutte du ciel surtout. Le bidon, tu vois, était tant vaseux qu’il faisait la bête à nous réveiller. Alors le soir, les couleurs en toc étaient nos seuls feux souvent, qui viraient froids, qui viraient gris, et se rallumaient au matin. Ça explique pas mal pourquoi toi t’es azul, et elle rougeot et lui verde. Ça a commencé là.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).