1
Tu rougeois dans la nuit sur le bord du trottoir. Sur l’écran, noir et blanc, petite salle de cinéma de quartier, strapontins de bois. Elle s’échappe, entre les lèvres de ton père, par la fenêtre à peine entrouverte dans la voiture sur la route, longue, vers l’Espagne. Tu as tout oublié de ta couverture d’enfant et pourtant l’odeur piquante sillonne encore les conduits de tes narines au lever du jour.
Lorsqu’au bout d’une nuit de fumée elle s’accroche sur tes cordes vocales, tu t’autorises à aimer cette voix plus grave qui te fait chanter, tu crois, plus juste. Elle est là, elle te tient compagnie au fond de ton sac, dans les tiroirs de la console de l’entrée, dans le vide poche de toutes les voitures qui t’ont trimballée d’une histoire à une autre. A l’arrivée de ces photographies immondes, tu leur as offert un écrin d’abord souple puis rigide. Tu n’as jamais supporté d’extraire d’un paquet une cigarette cassée, tu n’as jamais su les recoller, jamais su les rouler.
Tu les choisis souvent avec coquetterie. Le paquet noir aux lettres dorées pendant les manifs de ton adolescence, JPS. Les cigarettes mentholées pour le vent frais qui descend dans la gorge et font oublier à ta langue l’âpre goudron. Aujourd’hui, les slims. Tu aimes coller ta bouche à celle d’un fumeur, les baisers sont si tièdes sans. Cigarette dans un TGV, en cachette, dans les toilettes, une affreuse brune sans filtre, c’est tout ce qu’il restait au comptoir du train, où tu t’es arrachée de courage pour demander un paquet vite jeté dans la poubelle sur le quai à l’arrivée.
2
Brune, sans filtre, affreuse. Cigarette en cachette, dans les toilettes d’un TGV, c’est tout ce qu’il restait au comptoir du wagon cinq. Tu t’es arrachée de courage pour acheter ce paquet jeté aussitôt dès l’arrivée sur le quai.
Blondes, la nuit, sur la longue route de l’espagne, celles de ton père dans la simca mille bleu métallisée. Tu ne te souviens qu’à peine de ta couverture d’enfant à l’arrière, mais les formes des volutes qui s’échappent de la fenêtre à peine entrouverte, ça oui.
Choisies pour leur étui dans le paquet noir aux lettres or entrelacées, c’est le temps des manifs, tu bats les pavés et les salles de ciné plus souvent que tes cours de cette première année au lycée, ce qui te vaudra un déménagement du sud ouest pour l’Yonne, ce qui était chèrement payé pour l’éclosion de ta conscience politique.
Longtemps tu les as choisies mentholées, pour l’air frais qui traverse ton palais et conjure l’amertume de la nicotine que finalement tu m’aimes pas tant que ça. Ce qui t’accroche, c’est qu’elle te tient compagnie depuis toujours, d’aussi loin que tu remontes, elle est là, dans le salon de tes grand-parents où tout le monde s’enfume sauf ta mère.
CIgarettes dans le vide poche de toutes les voitures que tu as conduites, cigarettes dans le tiroir de les consoles des entrées de tous les appartements que tu as habités, dans les cinémas de quartier aux strapontins de bois sur l’écran noir et blanc, cigarette aux lèvres de ses actrices sublimes qui te font grandir plus tôt, désirer plus fort, brûler plus intense.
Cigarette juste avant les baisers que tu aimes tant donner.
Cigarettes dans un écrin rigide qui fut d’abord souple, mais tu ne supportes pas d’extraire une cigarette cassée, tu n’as jamais su les recoller, jamais su les rouler, jamais su ni aimé embrasser un garçon qui ne fumait pas. La cigarette ouvre tes papilles, ça éclate sur ta langue, ça infuse le plaisir.
Cigarette sous les étoiles, cette dernière cigarette dans le désir d’un premier baiser avec un garçon que tu voudrais ton amoureux. Cigarette au bal sur le bord de la piste de danse pour observer l’air de rien le prochain. Cigarette en boite pour semer le garçon dont tu ne veux plus.
Cigarette au bord d’une tombe pour mettre le feu au chagrin de tes entrailles et n’en rien montrer. Cigarette désir. Cigarette esquive. Cigarette clandestine. Cigarette chapardée.
Blonde, rarement brune, rarement roulée. Cigarette engagée, cigarette militante, féminine, séduisante.Cigarette dans le vide poche, dans la poche arrière de tes vieux jeans que tu ne sais pas jeter quand trop usés.
Cigarettes dans le cendrier. Cendriers, briquets, allumettes, buralistes, partout, repérés, les horaires, ouverture, fermeture, les tabacs de nuits insomnies.
Accrochées à tes cordes vocales lorsque tu lis tes textes à voix rauque des trop nombreuses cigarettes de la veille.
3
Cigarette, le matin, se lève après une nuit brève, enchantée, tes cordes vocales enfumées, dans l’enchantement et le vertige du commencement jusqu’à épuisement. Cigarette à la terrasse du café tandis que ton paquet est resté sur la table de la terrasse, oublié dans cette brume de désir et de joie enfantine, porteuse des possibles quand on se connaît si peu que tout est beau, que tout nous donne envie.
Cigarette consumée, blonde, brune, roulée, cigarette par mégarde, tromper l’horloge qui sépare vos corps encore quelques heures, ce sera bientôt quelques semaines.
Cigarette, arrêter, une heure, un jour, une semaine jamais une année. Reprendre dans le soulagement puis vouloir tout jeter et ne pas y parvenir, capituler.
Cigarette au téléphone, l’ami qui raconte, son désenchantement, ses tentatives, ses négociations, ses compromissions.
Cigarette fine, cigarette longue, cigarette des actrices de ton enfance sur l’écran noir et blanc, phare de la femme que tu voudras être quand tu seras grande.
Cigarette gifle, l’été de tes quatorze ans quand ta mère joue la coquette en t’empruntant une robe où elle glisse sa main dans la poche et saisit un paquet, tu as tous les défauts de ton père.
Cigarette avec Théo sur le bord du trottoir pour l’ivresse qu’il se penche encore et encore pour t’allumer, cigarette discours, cigarette conversation, cigarette se dévoiler, cigarette se déshabiller, Cigarettes after sex.
Cigarette inventaire des moments qui ont compté, double, triple, jamais rattrapés, échappés, envolés, évaporés, perdus à jamais, transformés dans le labyrinthe des souvenirs qui n’en font qu’à leur tête.
4
Cigarette canicule, brûle, le corps des femmes, parfois des enfants, dans les guerres, chez soi ou très loin.
Cigarette brouillard, brouillon, identitaire, quête. Cigarette sur le balcon, les trottoirs, le quais de gare, au revoir désespoir. Cigarette bagarre. Cigarette au clocher d’un phare. Cigarette rage, nuit vague. Cigarette citadine, cigarette ruelle, ruisseau, ruinée.
Cigarette attente sous les étoiles.
5
Cigarette au bord d’une tombe, mettre le feu au chagrin de tes entrailles et n’en rien montrer.
Mentholée depuis toujours, l’air frais traverse ton palais, l’amertume de la nicotine que finalement tu m’aimes pas tant que ça. Elle te tient compagnie depuis toujours, d’aussi loin que tu remontes, elle est là, dans le salon de tes grand-parents où tout le monde s’enfume sauf ta mère.
Cigarette gifle, l’été de tes quatorze ans quand ta mère joue la coquette en t’empruntant une robe, elle glisse sa main dans la poche et trouve un paquet, tu as tous les défauts de ton père.
Brune, sans filtre, affreuse. Cigarette en cachette, dans les toilettes d’un TGV, c’est tout ce qu’il restait au comptoir du wagon cinq. Tu t’es arrachée de courage pour acheter ce paquet aussitôt jeté, dès l’arrivée, sur le quai.
Blonde, la nuit, sur la longue route de l’Italie, celle de ton père dans la simca mille bleu métallisée. Tu ne te souviens qu’à peine de ta couverture d’enfant à l’arrière, mais les formes des volutes qui s’échappent de la fenêtre à peine entrouverte, ça oui.
Jamais cassée, tu n’as jamais su les recoller, jamais su les rouler, jamais su, ni aimé embrasser un garçon qui ne fumait pas, ça ouvre tes papilles, ça éclate sur ta langue, ça infuse le plaisir.
Cigarette militante, esquive, clandestine, chapardée, le temps des manifs, tu bats les pavés et les salles de ciné plus souvent que tes cours de cette première année au lycée, ce qui te vaudra un déménagement du sud ouest vers l’Yonne, ce qui était chèrement payé pour l’éclosion de ta conscience politique.
Cigarette aux lèvres de ces actrices sublimes qui te font grandir plus tôt, désirer plus fort, brûler plus intense, phare de la femme que tu voudras être quand tu seras grande.
Cigarettes dans le cendrier, briquets, allumettes, buralistes, partout, repérés, les horaires, ouverture, fermeture, les tabacs de nuits insomnies.
Cigarette, arrêter, une heure, un jour, une semaine jamais une année. Reprendre dans le soulagement puis vouloir tout jeter et ne pas y parvenir, capituler.
Cigarette sur tes cordes vocales, ta voix plus grave qui te fait chanter, tu crois, plus juste, elle te tient compagnie au fond de ton sac, dans les tiroirs de la console de l’entrée de tous les appartements que tu as habités, dans le vide poche de toutes les voitures qui t’ont trimballée d’une histoire à une autre, dans la poche arrière de ton vieux jean que tu ne sais pas jeter, trop usé.
Cigarette Théo sur le bord du trottoir pour l’ivresse qu’il se penche encore pour t’allumer, cigarette discours, cigarette conversation, cigarette se dévoiler, cigarette se déshabiller, Cigarettes after sex.
Cigarette juste avant les baisers que tu aimes tant donner, sous les étoiles, dernière cigarette dans le désir d’un premier baiser avec un garçon que tu voudrais pour amoureux.
Cigarette par mégarde, tromper l’horloge qui sépare vos corps encore quelques heures, ce sera bientôt quelques semaines, le matin, après une nuit brève, enchantée, cordes vocales enfumées, dans l’enchantement et le vertige du commencement jusqu’à épuisement, de joie enfantine, porteuse des possibles quand on se connaît si peu que tout est beau, que tout nous donne envie.
Cigarette inventaire des moments qui ont compté, double, triple, jamais rattrapés, échappés, envolés, évaporés, perdus à jamais, transformés dans le labyrinthe des souvenirs qui n’en font qu’à leur tête.
Juste : Merci.
merci à vous d’avoir pris le temps de lire 😉
ah c’est bien drôlement bien et puis s’arracher de courage fallait l’inventer et maintenant c’est fait ! Moments de cigarette et voluptés… Ancien fumeur quand même… tant pis… pour essayer d’un peu durer. En tout cas drôlement aimé le voyage en fumée.