Que ça se forme là, que la forme de ton objet se forme là au fond, là quelque part tu ne sais pas très bien quoique tu l’aies toujours ressenti, au fond c’est l’infini ce à quoi tu tournes le dos, ce fond caverneux constellé de milliards de points lumineux il est là derrière toi et tu te retournes il a disparu, tu sais que ça se forme là devant toi sur le cristallin projetant en toi une image inversée au fond de ton œil, tu le sais, tu l’as vu cent fois sur des schémas ce qui se forme en suivant le rayon tracé en noir qui transperce les cellules, les membranes de la cornée, pour aller taper entrechoquer cogner faire bang contre ta réalité objective celle qui te dit que c’est rond pour ce qui est rond, carré pour ce qui est carré, paquet de cartes pour un paquet de cartes, là devant tes yeux tu le sais, tout se projette puis s’inverse au fond de tes globes fixés devant le flux lumineux des images que tu as choisi de regarder, ton regard qui attire ton regard attiré, le rayon tracé en noir en réalité est coloré et parcourt la distance du cristallin à ta rétine pour transformer ta réalité objective en flux électrique tu le sais ça se forme là à la surface de ta rétine puis ça traverse le nerf optique pour aller à l’arrière de ton crâne dans cette substance blanchâtre qui tapit l’intérieur de ta boîte crânienne, l’influx nerveux électrique de cellules spécialisées qui envoient l’impulsion de la couleur, de la forme, de l’intensité lumineuse au fond de ta caverne osseuse, traversant les millions de neurones et de cellules gliales, là pour que d’une image absorbée, d’une image codée électriquement, d’une image décodée tu aies l’illusion complète que se joue une image projetée, une projection du monde autour de toi, l’assurance de regarder un rond pour un rond, un carré pour un carré, et de sentir ce paquet de cartes qui te confirme que le réel est réel, qu’il est extérieur à toi même, que la prouesse de ton cerveau à te fournir si rapidement une réponse auditive visuelle et tactile ça se forme devant là devant toi et pas là dans ton crâne, là derrière où pourtant tu le sais toutes les images se forment, tu as beau te retourner il n’y a pas d’univers sombre derrière toi et si tu touches l’arrière de ton crâne avec ta main, toutes les images que tu vois, que tu crois voir devant toi, elles se forment là derrière ton crâne là dans cet amas gris où tu sens les odeurs où tu sens les caresses où tu sens qu’elle veut prendre ta tête entre ses mains pour protéger tout l’univers qui habite en toi, toi ton regard est attiré ailleurs, son paquet de cartes, tu sens des odeurs d’encens qui transpirent, des odeurs qui rembobinent dans la subtance blanche là à l’arrière de ton crâne osseux toutes les images inscrites mémorisées, des images qui sentent, sans notion d’espace ni de temps avec une proximité vertigineuse, la petite boutique minuscule d’une centaine de pots en terre ou en verre de tous les encens de la terre, tenue par ce prêtre orthodoxe qui n’est pourtant pas devant tes yeux, qui est par delà les distances et le temps, ce souvenir prisonnier des réponses chimiques des cellules gliales et des neurones qui sentent voient touchent et entendent pour que tu oublies à tout moment même si toutes les nuits te le prouvent que ta réalité se forme dans cet inaccessible intérieur.
Merci. Tous ces objets qui nous contiennent.
Merci Romain!
Merci pour ce texte envoutant. De ce qui nous lie, précisément, à l’objet. Ou plutôt, ce « nous », concret, physique, physiologique. Merci pour ce très bon moment.
Très touché par ton retour. Merci Jean-Luc.
La puissance de l’évocation et le pouvoir magique de la « petite boîte noire »…
Merci Ysa-Lou d’être passée me lire.
Tu le sais… le tu et la litanie nous emportent, et je relie ça encore une fois aux mains de ma mère cartomancienne à ses heures, dans des parfums d’encens
Merci beaucoup Caroline! Nos imaginaires se rejoignent…
Quand l’objet n’est physiquement pas là, l’écriture, elle, est bien là et tient la longueur de l’unique phrase. Bravo !
C’est très encourageant d’avoir votre avis, merci beaucoup Cécile!
quelle merveilleux cheminement sans reprendre souffle, cette plongée dans un crâne
merci Brigitte d’être venue cheminer dans mon texte
C’est un texte fou vertigineux qui donne envie fait naître un désir de scène de voix de monologues multiples qui s’entrecroisent… Merci Michaël !!
Magnifique… quelle belle idée !
et pas si prisonnières que ça les images malgré tout, puisqu’elles naviguent certes à l’intérieur de nous mais aussi à l’envers de nous, parfois sans vouloir se préciser… elles aiment nous échapper
en tout cas une réussite…
(je me disais que je t’avais laissé tomber depuis un petit moment, mais je suis très prise en ce moment et je n’ai pas encore commencé les #10 !)
« et si tu touches l’arrière de ton crâne avec ta main, toutes les images que tu vois, que tu crois voir devant toi, elles se forment là derrière ton crâne là dans cet amas gris où tu sens les odeurs où tu sens les caresses » ode au cortex visuel. Envoûtant voyage. Merci